Mardi 23 septembre, quelques heures après la reconnaissance officielle de la Palestine par le Président de la République Emmanuel Macron à l’ONU, la Ville de Poitiers pavoisera la Mairie du drapeau palestinien, aux côtés des drapeaux français et européen. Ce geste, nous le faisons pour l’Ukraine à chaque anniversaire du déclenchement de la guerre par la Russie, nous l’avions fait pour le Maroc au lendemain du terrible séisme qui l’avait touché en 2023, et nous le ferions à nouveau pour exprimer notre solidarité avec les états durement éprouvés par des crises ou des agressions majeures.
Aujourd’hui, nous apposons le drapeau palestinien au fronton de la Mairie, pour :
- Saluer cette avancée historique, et célébrer l’accession de la Palestine au concert des nations reconnues par la France.
- Affirmer notre soutien politique à la mise en œuvre concrète d’une solution à deux États, comme un chemin vers la Paix à laquelle cette reconnaissance doit contribuer, et dont le respect du droit international est une condition absolue.
- Partager notre empathie à l’égard des enfants, des femmes, des hommes, palestiniennes et palestiniens, dont la souffrance inouïe atteint profondément nos cœurs.
Et, parce-que c’est sans doute la condition la plus immédiate à l’émergence d’une paix durable, nous joignons à nouveau nos voix à celles qui réclament depuis le 7 octobre la libération des otages israéliens, et des prisonniers palestiniens.
Mais il va falloir que la France fasse bien plus.
Si la portée symbolique de cet acte est évidemment un pas en avant majeur, la colonisation croissante de la Cisjordanie par Israël, et les projets assumés d’éradication de la présence palestinienne à Gaza, menacent de faire du discours d’Emmanuel Macron l’épitaphe d’une Palestine réduite en lambeaux.
Le 19 juillet 2024, la CIJ a rendu un avis historique, affirmant non seulement l’illégalité de l’occupation israélienne des territoires palestiniens depuis 1967, mais pointant aussi des pratiques assimilables à des « ségrégations raciales et l’apartheid » telles que décrites dans la Convention sur l’élimination de la discrimination raciale. L’AG de l’ONU a adopté, le 18 septembre suivant, une résolution engageant les États à prendre des sanctions contre Israël pour l’obliger à se retirer du territoire palestinien occupé, et ceci dans le délai d’un an. Un an après, en septembre 2025 : rien n’en a été fait.
Si cette reconnaissance ne débouche pas sur l’arrêt des frappes aveugles sur Gaza, sur l’entrée massive de l’aide humanitaire, sur le sauvetage de toute une population à bout de forces, elle reviendra à être un piteux baroud d’honneur diplomatique.
Si cette reconnaissance ne se poursuit pas par des sanctions économiques, financières, politiques, elle reviendra à entériner un mépris de plus du droit international.
Si cette Conférence ne se prolonge pas par un arrêt de la colonisation, par l’établissement d’une souveraineté réelle du peuple palestinien dans ses frontières légales, elle reviendra à être une reconnaissance in extremis, comme l’on parle d’un mariage sur un lit de mort.
Avec Poitiers Collectif, nous réaffirmons que c’est plus que la reconnaissance de l’État de Palestine qu’il nous faut porter. C’est l’espoir d’un monde meilleur pour nos enfants qu’il nous faut raviver. C’est la promesse d’un ordre mondial fondé sur un état de droit égal partagé, égalitaire, et protecteur qu’il nous faut tenir. C’est l’espoir d’un monde où, vraiment, plus jamais, l’injustice et la souffrance telles que la subissent les palestiniennes et les palestiniens ne seront tolérés.
Nous nous engageons à en être les actrices et les acteurs, à notre échelle :
- En renforçant les liens d’amitié et de soutien avec les territoires, les institutions, les citoyennes et citoyens, de Palestine, et plus largement avec les populations et états victimes de conflits. Dès le mois d’octobre, nous accueillerons un artiste palestinien à la Villa Bloch.
- En faisant de la Culture de Paix une priorité de nos politiques publiques, ici, et à l’international.
Prendre parti : une urgence
Le pas franchi à la tribune de l’ONU par le Président de la République légitime, à lui seul, l’apposition du drapeau au fronton de nos Mairies en ce jour.
Mais à celles et ceux qui, dans la lignée du Ministre de l’intérieur Bruno Retailleau, contestent la place de ce drapeau au nom du « principe de neutralité », au nom d’une « prise de partie dans un conflit international » qui n’aurait pas lieu d’être, nous répondons que dans certaines situations, l’histoire de la France autant que ses engagements juridiques et que ses prétentions morales l’obligent à sortir de la « neutralité ». Obligent à « prendre parti », pour que les horreurs de l’histoire ne se répètent pas.
La France, durement éprouvée par sa complicité dans le génocide des juifs pendant la seconde guerre mondiale, s’est engagée pour le « plus jamais ça » dès 1948 en ratifiant la Convention sur le génocide. Cette convention oblige les États signataires à prendre toutes les mesures possibles pour prévenir et punir un génocide. Or, dès janvier 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) évoque un « risque plausible de génocide » à Gaza, et le 16 septembre dernier, les experts mandatés par l’ONU affirment clairement qu’Israël commet un génocide : l’absence de sanction ou d’inflexion dans la politique de livraison d’armements à Israël, n’équivaut-elle pas à une passivité fautive de l’État français ? D’une dérive de la « neutralité » vers la complicité ?
Légalement, historiquement, moralement, humainement, la France a le devoir d’intervenir.
S’il faut le dire clairement : ne pas joindre les actes à la parole, face à un état soupçonné de génocide, c’est « prendre parti » pour l’agresseur.
Et puis, c’est commettre une grave erreur que de tenter d’intimider, de criminaliser, d’étouffer la voix, de celles et ceux qui, comme nous, apportent leur soutien au peuple, à l’État de Palestine. Le conflit n’est pas « importé » artificiellement, il est là, dans nos débats, sur l’écran de nos réseaux sociaux, dans nos Universités, dans notre conscience historique, dans nos cœurs.
Le gouvernement français doit comprendre que contenir la colère, que contenir le chagrin, que contenir le rejet politique, massivement suscités par le sort des palestiniens aujourd’hui, n’est ni possible, ni souhaitable. Nier une indignation majoritairement présente dans la population aujourd’hui, c’est nourrir la défiance envers le politique, la division entre les citoyens, les confusions en tous genres, l’exacerbation des tensions – et y-compris de l’antisémitisme.
Après avoir rendu légitime l’État de Palestine, il est de nécessité publique, aujourd’hui, de rendre légitime la « prise de parti » politique et citoyenne sur cet enjeu majeur de notre époque.