L’Éducation Buissonnière : quelle politique pour une éducation nature ?
Compte-rendu de la première table ronde du groupe Education !
13 mai 2019, Biard.
[Plus de photos à venir très bientôt !]
Introduction : présentation de la démarche Poitiers Collectif, et de son groupe Education, qui a choisi cette thématique pour lancer un cycle de 4 tables rondes, visant à rendre visible son travail « exploratoire ».
Présentation des intervenants.
- Francis Thubé est directeur de l’IFREE (Institution de Formation Recherche Education Environnement). Une institution née en 1996, à une époque où l’Académie de Poitiers était pilote en France sur les questions d’éducation à l’environnement, et bénéficiait d’une reconnaissance nationale. L’idée d’origine était de capitaliser cette expertise et de lui permettre d’essaimer en France, en organisant concrètement des animations pédagogiques allant au-devant des publics (Naturalibus), en produisant des contenus pédagogiques, en formant des animateurs et formateurs. La structure est née sous une forme associative originale en 1996, avec parmi ses membres fondateurs des collectivités (Région), des associations (LPO, le GRAINE…) et des CPIE (Centres Permanents d’Initiatives pour l’Environnement).
Aujourd’hui, en plus de ses activités initiales, l’IFREE développe des activités de recherche sur l’éducation nature environnement, mais aussi un champ d’expertise sur l’animation de dynamiques de participation citoyenne, qui représente presque 50% de son activité aujourd’hui.
- Stéphane Trifiletti est Conseiller Régional, Délégué à l’Education Nature pour un Développement Soutenable, une délégation unique en France, qui représente un vrai choix politique. Il pilote l’animation et la mise en réseau régionale de plusieurs réseaux associatifs d’éducation à l’environnement comme les GRAINE ou les CPIE. Il est par ailleurs enseignant en lycée agricole, en Ecologie-agronomie-territoire-développement durable.
- Kim Delagarde est Président de la Commission Formation du Scoutisme Français, et issu des Eclaireuses et Eclaireurs Unionistes de France. Le scoutisme, premier mouvement de jeunesse en France et dans le monde, se fonde depuis plus de 100 ans sur un projet éducatif largement basé sur la vie en harmonie avec la nature, et développe de plus en plus un plaidoyer sur cet enjeu, en impulsant par exemple la mobilisation des mouvements d’éducation populaire autour de la COP21. Kim Delagarde dirige par ailleurs une association d’éducation populaire de Melle, la Beta-Pi, dont le projet Educatif promeut la diffusion de la culture scientifique et technique, une autre manière d’éduquer à l’environnement !
- Enfin, Louise Ollier est co-fondatrice de l’association poitevine La Gibbeuse, et membre de son conseil d’administration. Autour d’un lieu écologique auto-construit, l’association, par l’organisation d’ateliers et de chantiers participatifs, promeut l’éducation à l’environnement au sens large, tout au long de la vie.
Lancement de la soirée par une question ouverte à laquelle chaque participant est invité à répondre individuellement : « Eduquer à la nature > Qu’est-ce que ça doit être ? Qu’est-ce que ça ne doit pas être ? »
Ce que l’éducation nature doit être
- En extérieur !
- Pour tous
- Elle doit viser à faire acquérir des réflexes vis-à-vis de la nature, de l’environnement
- Du sensible, du concret, du toucher, du sentir, du voir
- Émerveillement, qui rejoint le dehors : ressentir le beau. Approche sensible. Donner sens au réel.
Ce que l’éducation nature ne doit pas être
- Ne doit pas être trop théorique
- Ne doit pas être réservée à l’élite
- Domination, peur de la nature, danger
- Transmettre transversalement
- Ce n’est pas du dressage comportemental
- Ce n’est pas la nature sous cloche, c’est la nature qui est autour de nous
Première question aux intervenants : Et vous, quelle est votre vision de l’éducation nature environnement ?
Notre référence commune : le plaidoyer de Louis Espinassous (éducateur nature, et auteur de livres qu’on vous conseille !), Mettez les dehors ! (en plus du livre Pour une Education Buissonnière, qui a donné son titre à la soirée !). Lorsqu’on est dans la nature, que l’on randonne, marche, on éprouve beaucoup de choses physiquement et mentalement. C’est une harmonie, quelque chose de complet qu’Espinassous qualifie de « symphonie ».
Stéphane Trifiletti débute la soirée avec une remarque : « On ne devrait pas être dans cette salle pour parler de l’éducation nature ce soir ! Quand on communique les uns avec les autres dehors, on a plus de concentration (les études sur les neurosciences le démontrent : +30% de concentration lors d’apprentissage dehors en marchant !) »
Kim Delagarde : Dans la méthode du scoutisme, il y a huit piliers fondamentaux, dont la nature fait pleinement partie. Ce ne sont pas huit items traités en silo, c’est plutôt présenté sous forme d’un réseau de ces piliers qui se répondent les uns les autres.
Les mouvements du scoutisme considèrent que vivre le collectif dans la nature est une expérience beaucoup plus forte qu’uniquement connaître la nature.
Il ne faut pas sectoriser l’éducation nature à une activité. Faire de l’éducation nature ce n’est pas juste découvrir les fleurs et les champs qui nous entourent. Il faut l’envisager comme quelque chose de beaucoup plus complet : se rassembler dans la nature, partager, échanger, se poser des questions.
Selon Francis Thubé, éduquer à la nature, ce n’est surtout pas d’être dans la parenthèse exotique (c’est souvent ce qu’on fait à l’école : sortie de fin d’année, classe découverte).
Il y a une vraie nécessité de former les animateurs. Des animateurs souvent peu ou pas en contact avec la nature, qui ne supportent pas de faire une nuit en bivouac à la belle étoile avec une réelle peur de la nature.
Éduquer à une forme d’émancipation vis-à-vis du poids du quotidien, des diverses injonctions qui nous sont faites y compris dans la consommation.
Quelles actions mettez-vous en place/soutenez-vous, dans vos structures ?
Kim Delagarde
- Dans le scoutisme, nous proposons aux jeunes de se rencontrer à un rythme mensuel sur une journée ou un weekend. Lors des vacances d’été, ce sont des camps plus longs (2-3 semaines). La plupart du temps, nous campons en plein air, mais nous organisons aussi des activités dans des structures en dur. Nous attachons toujours une importance au plein air, dans toutes nos dimensions éducatives : jeux en plein air, gestion de la vie quotidienne (éduquer à l’autonomie !), construction de mobilier, cuisine sur le feu mais également randonnées de plusieurs jours en autonomie pour les jeunes.
- La Béta-Pi est une association d’éducation populaire, de culture technique et scientifique. Pour l’organisation de ses séjours de vacances qui sont aussi en plein air, la volonté était de s’adresser à un public qui a du mal à franchir la marche entre le confort du quotidien et l’aventure de la nature. Lorsque la Béta-pi a été créée, une attention particulière était portée à la « non-concurrence » avec des associations d’Education nature. Il y avait un souhaitait de s’inscrire en complémentarité à travers l’organisation de séjour pas nécessairement sur l’objet nature (plutôt des thématiques scientifiques, comme l’astronomie, ou le bricolage… mais ce sont aussi des manières de connaître l’environnement !), mais dans la nature.
Louise Ollier / L’association la Gibbeuse
La Gibbeuse est née en 2013 à partir d’une expérience : fabriquer une maison avec des matériaux de cueillette (minimum de transport et d’industrie) dans une logique permacole et de façon collective.
La Gibbeuse est un lieu support d’expérimentation autour de la permaculture et de l’éco-construction. Les membres de l’association ne se positionnent pas en tant que sachants mais défendent plutôt le pas-à-pas, l’expérimentation, l’immersion à travers des chantiers participatifs. Depuis 5 ans, le lieu a accueilli près de 400 personnes sur des séjours longs.
Ces séjours longs sont des séjours immersifs : autogestion, construction, apprentissage par les pairs.
L’association organise également des temps ponctuels : soirées, journées, après-midi. Ces moments sont appelés ateliers de la transition. Il s’agit alors de prendre un sujet et chercher ensemble à le comprendre, le décortiquer (balade bucolique pour découvrir les plantes, fabriquer une pâte à pain, se raconter comment on peut en tant que jeune poitevin se questionner sur sa mobilité dans un univers urbain, etc.)
Les membres de l’association essaient de vivre avec la nature, de s’ajuster par rapport à elle et à ce qu’elle propose et de ce qu’elle nous permet.
Francis Thubé / IFREE
« Nous sommes individuellement issus de la nature et nous faisons partie de cette nature. Donc il faut qu’on retrouve des éléments de perception et de compréhension de ce que nous sommes avec la nature. Re-rentrer dedans, ne pas s’en distancier ».
L’objet principal de l’IFREE c’est la formation de formateurs. Depuis quelques années, un deuxième axe est l’accompagnement de démarches participatives, collaboratives, de concertation.
L’IFREE intervient auprès d’un panel de publics très large qui va de l’élu jusqu’à l’habitant y compris dans des quartiers dits en précarité.
Avec l’arrivée du développement durable (1992) : il fallait « éduquer les citoyens ». Sous la pression des collectivités et de l’État, a été accentué l’aspect « éco-citoyen » : le bon geste pour le tri, la bonne consommation d’eau, etc. Cela a mis de côté le contact vrai avec la nature. Les associations de protection ont eu tendance à s’écarter de la nature en intellectualisant des éléments de connaissance. Il y a actuellement un réajustement avec l’idée d’ « apparentement » pour faire corps avec la nature.
Un chercheur américain a développé le syndrome du manque de nature : si vous privez un enfant de son contact avec la nature, il y a des risques de dysfonctionnement dans sa façon d’être et notamment des cas d’autismes qui seraient liés à ce syndrome. Notre propre développement sur le plan de la santé mentale et physique est très lié à cette idée de contact, de relation, de perception, de compréhension.
L’IFREE réflechit à travailler avec la faculté de médecine de Poitiers pour mobiliser de jeunes étudiants médecins sur leur propre contact avec la nature : créer un club « connaitre et protéger la nature » et travailler avec les étudiants sur un programme de recherche-action. Comment la reconnexion à la nature permet à de jeunes médecins de se sentir mieux mais également d’améliorer leur pratique professionnelle.
Stéphane Trifiletti / Région Nouvelle-Aquitaine
Pas de transition écologique sans éducation à l’environnement !
Jusqu’à présent on assistait à un saupoudrage des politiques « éducation à l’environnement ».
La Région Nouvelle-Aquitaine a fait le choix de désigner un élu pour avoir une ligne de force, un récit, un discours pour remobiliser toute une filière et la structurer. Sa ligne directrice : comment favoriser la reconnexion homme-nature, en y donnant du sens ? L’approche sensible ne suffit pas, il faut aller au-delà.
Comment ?
- Structurer une filière éducation nature environnement pour un développement soutenable. Il n’est pas correct de parler uniquement d’éducation à l’environnement puisque ce mot signifie « ce qui nous environne ». Nous faisons partie intégrante de la nature : nous ne sommes pas en dehors. La politique régionale permet de structurer la filière en aidant les têtes de réseau (CPIE, GRAINE, Surfrider Fundation, etc.) avec des conventions pluriannuelles d’objectifs, appréciables car elles donnent de la visibilité aux associations, notamment les têtes de réseau ;
- Mise en place également d’un appel à projets pour les plus petites associations (nous ne soutenons pas uniquement les réseaux !)
- Soutien à des chaires de recherche sur le sujet ;
- La Région Nouvelle-Aquitaine souhaite une transversalité de de la transition écologique. Un grand rendez-vous est donné le 9 juillet pour une plénière régionale exclusivement consacrée à la transition écologique intitulée NeoTerra.
Pour finir : comment contribuer à une politique nature à l’échelle municipale ? Quels seraient vos besoins, vos préconisations ?
Bourse à idées flash !
Kim Delagarde
1- Facilité : il faut des lieux où on peut aller. Où il n’y a pas de barrière. Il faut combattre un imaginaire sécuritaire ! Cela peut paraitre absurde mais il est très compliqué de trouver des lieux !
Exemple vécu : une municipalité rurale avait un club de foot qui n’existe plus. Les élus ont fait le choix de reconvertir les vestiaires en stockage de tables, ont adossé à ce lieu un grand auvent/préau, et créé une petite cuisine. Cela permet d’avoir un lieu de transition entre dedans et dehors avec la sécurité de l’auvent « en dur ».
2- Toujours penser à ce besoin de gradation. Il faut prendre les concitoyens là où ils en sont. Il faut penser de manière graduée : il en faut pour tout le monde, et il faut une progressivité dans l’approche.
3- Il y a l’éducation nature et l’éducation dans la nature. Ce n’est pas l’étiquette qui compte. Être dehors, c’est déjà s’éduquer à la nature.
4 – Diffuser des pratiques / changer les réflexes : C’est possible de faire des activités dehors même quand il pleut !
Louise Ollier
Question de la ré-appropriation des espaces publics (car il n’y a pas besoin d’un contenu très théorique pour se sentir nourri dehors ! ) : :
- Comment s’approprier des espaces verts publics qui ferment à 22h ?
- Offrir la possibilité de l’espace vierge pour faire émerger des besoins.
Francis Thubé
Ne pas oublier : la communauté éducative est large ! Si on regarde sur un parcours de vie : le temps passé à l’école premier degré / second degré : tout ne se joue pas là ! N’oublions pas les temps de repas, les temps extra-scolaires, périscolaires, etc.
Dans les politiques publiques, deux éléments sont importants et pourraient faciliter, encourager la mise en place d’actions concrètes :
- Le partenariat vis-à-vis du monde associatif : collectivité/association. Cela a de plus en plus de mal à se mettre en place puisqu’il y a une logique d’appels d’offres, de commandes publiques qui rendent les choses bien compliquées.
- Faire sauter le bitume dans les cours d’école ! Des mares, offrir la possibilité de grimper…! Cela peut être un choix politique mais Il faut que la communauté éducative qui s’en saisisse et que ça ne repose pas sur des personnes.
Stéphane Trifiletti
L’éducation nature peut être envisagée sous l’angle du plan local d’urbanisme (zone protégées, zones supports). Réfléchir à l’urbanisme, c’est réfléchir aux transports.
Exemple : pour aller à l’école, est-ce que des enfants peuvent se déplacer seuls de manière sécurisée ? Est-ce que c’est paysager ? Le PLU peut protéger des zones dans le parcours habitats / Ecoles.
Quelques pistes en vrac à impulser :
- Jardin potager dans les écoles
- Journée sans portable pour se déconnecter et se reconnecter à la nature
- Réapprendre à faire du feu.
- Être capable d’utiliser ce qui est dangereux (couteau), prendre des risques
- Utiliser les rythmes scolaires pour démontrer d’une réelle politique « éducation nature » : écoles de quatre jours et demi pour ainsi libérer du temps pour des activités périscolaires.
Référence : école maternelle de Chantemerle à Angoulême, 100% du temps à l’extérieur.
Léonore (co-animatrice soirée) – De ces échanges, plusieurs lignes semblent se dessiner :
- Investir tous les lieux éducatifs (pas que l’école !) : éducation populaire, famille, TAP, etc.
- Investir tous les lieux tout court pour y faire (re)venir de la nature ! (urbanisme de la ville, du quartier, espaces éducatifs notamment des écoles…)
- Favoriser l’éducation nature dans une approche pédagogique avec les partenaires éducatifs ;
- Dans la manière de mener la politique publique : impulser un réel partenariat avec les associations, qui témoignent d’un besoin de visibilité et de sécurité.
Fin de la soirée : par petits groupes, les participants sont invités à se mettre d’accord sur deux idées / groupe à retenir de la soirée, pour intégration au futur programme !
Propositions flash dans la salle
- Un potager par école
- Repenser la cour d’école : réduire le bitume !
- Promouvoir la création de lieux alternatifs, d’expérimentations, d’espaces naturels et d’animations
- Gestion des espaces verts publics : remplacer espaces ornementaux par des plantes, des arbres. Rejoindre le mouvement des incroyables comestibles > vraie politique municipale > Remobilisation citoyenne pour que les lieux publics « nature » redeviennent des espaces communs
- Partenariat avec les acteurs éducatifs : partenariat réciproque
- Question du sens. Redonner du sens à nos politiques éducatives. Couteau, feu, arbre dans lequel on peut monter.
- Activité périscolaire : l’offrir gratuitement aux enfants, aux publics, pour que toutes les populations puissent y venir. Faire des cafés parents pour présenter les activités qu’on propose.
- Des animateurs nature salariés par la ville.
- Fermer la maternelle de la Porte de Paris en pleine pollution
- Sanctuariser des terrains à proximité des écoles pour sortir de la classe.