En septembre dernier, le Préfet de la Vienne demandait le retrait de la subvention versée par la Ville de Poitiers à Alternatiba, pour l’organisation de son « Village des alternatives ». En question ? Le Contrat d’engagement républicain, que doit signer chaque association bénéficiaire de soutien public (subventions, locaux…) depuis 2021. Ce Contrat impose notamment aux associations, et à leurs membres, de “respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine, ainsi que les symboles de la République”.
Parmi la centaine d’ateliers du Village des alternatives, il y avait un atelier problématique pour la Préfecture : un atelier de « formation à la désobéissance civile », un temps de présentation et de débat, théorique. Parler de désobéissance civile serait donc contraire aux valeurs de la République ! Rappelons que l’événement n’a généré aucun trouble à l’ordre public, et aucune incitation à la violence. Mais alors, ne serait-ce pas, fondamentalement, la notion même de désobéissance qui poserait problème ? Quid alors, de la « résistance », qui nourrit les pages de nos manuels scolaires, qui fait la force de nos cérémonies patriotiques ? N’est-ce pas un esprit et des actions de désobéissance, à un ordre politique établi et officiel, que nous célébrons alors dans notre histoire ?
Nous, élus de la Ville de Poitiers, nous sommes donc opposés à cette demande de la Préfecture, et avons voté le maintien de la subvention. Léonore Moncond’huy, Maire de Poitiers, avait bien résumé notre approche lors du Conseil Municipal de septembre 2022, dans une intervention que nous vous invitons à (re)découvrir.
Nous croyons en effet fermement que, en démocratie, c’est le rôle des associations que de faire vivre le débat public, y-compris sur la légitimité de certaines formes d’action militantes, y-compris pour interpeller les pouvoirs en place. Cela s’inscrit aussi fondamentalement dans une logique d’éducation populaire, qui invite chaque citoyen à se forger un avis éclairé, grâce à des informations, des échanges, des confrontations d’idées. Et puis, diaboliser la désobéissance civile, c’est vider ces mots de leur histoire et de leurs fondements politiques. La désobéissance civile est une approche théorisée depuis le milieu du XIXe siècle, qui constitue une manière de s’opposer à un état de droit perçu comme injuste, de manière foncièrement non violente. Elle a permis de grandes avancées incontestées dans l’histoire. Rosa Parks qui, en s’asseyant dans un bus, s’opposa à l’interdiction pour les personnes noires de s’asseoir dans les transports publics, dans un Alabama ségrégationniste, en est sans doute l’exemple le plus éclatant.
Que l’on considère légitime ou non la désobéissance civile, en parler, y réfléchir, publiquement, s’inscrit dans le cadre des libertés propres à chaque association, et dans le cadre de la liberté d’expression, qui sont des libertés fondamentales en France.
Plus d’un an après les faits, le procès s’est tenu au Tribunal administratif. Et le tribunal administratif nous a donné raison. Victoire !
Le tribunal administratif s’appuie sur le fait que ni le programme de l’événement ni son déroulement n’incitaient à la violence, à la haine, ni à mettre en oeuvre des actions entraînant des troubles graves à l’ordre public. Réfléchir à n’est pas inciter à, en somme.
Nous avons la chance de vivre dans un état de droit salutaire, qui protège encore nos libertés individuelles, collectives et politiques, comme il l’a fait récemment pour déclarer illégale la dissolution des Soulèvements de la Terre.
C’est une victoire pour Poitiers… mais surtout une victoire pour l’ensemble du monde associatif ! Les risques liés à cette loi étaient dénoncés, dès les débats à l’Assemblée nationale, par une très large majorité des réseaux associatifs nationaux (le Mouvement associatif, La Ligue des droits de l’Homme, Greenpeace…). Désormais, ce sont l’ensemble des dérives graves constatées depuis plus d’un an qui doivent cesser, être réparées, et ne plus se reproduire. C’est le Planning familial de Châlons sur Saône, à qui la Mairie a refusé d’installer un stand d’information public, au motif que l’une des femmes sur l’affiche de l’événement était voilée (heureusement, là aussi, le tribunal leur a donné victoire). Ce sont des associations creusoises, mises sur une « liste rouge » implicite et perdant leurs subventions DRAC, parce-que jugées trop proches de collectifs n’entrant pas dans les « valeurs » du Contrat d’engagement républicain. Ce sont des compagnies artistiques de la Vienne, voyant aussi leurs subventions DRAC et DRDFE remises en question au motif que « le rapport d’activité fait état d’engagements militants non conformes au respect des lois de la République consignées dans le CER et portant sur d’autres actions ». Partout, les libertés associatives doivent être respectées, défendues, et les intimidations de l’Etat auprès des collectivités et associations doivent cesser !
Nous demandons, à nouveau, l’abrogation du Contrat d’engagement républicain. Son usage politique abusif a été démontré, les menaces sont avérées sur les libertés fondamentales. Et surtout, nous devons protéger notre démocratie d’un outil dangereux, qui n’a ici manifesté qu’une infime partie de son potentiel de destruction des libertés publiques.