Habiter la ville, habiter Poitiers

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Jeudi 12 juin  2025 – Centre socio-culturel de la Blaiserie

La 5ème plénière de Poitiers Collectif a rassemblé une soixantaine de poitevines et poitevins autour du sujet du logement.

Face à la crise du logement, aux difficultés pour se loger dignement, aux tensions autour de la densification et aux inquiétudes pour le cadre de vie…Et si, plutôt que de céder à la morosité ambiante, nous explorions ensemble des pistes d’action concrètes et des récits positifs pour mieux habiter Poitiers ?

Ces questionnements ont constitué le fil rouge de la soirée, animée par Aloïs Gaborit, conseiller municipal délégué à l’Urbanisme et au Foncier à Poitiers et Vice-Président à la Sobriété, l’Urbanisme et la Transition énergétique à Grand Poitiers. Nous accueillions deux intervenants de qualité : Marie-Noëlle Lienemann, ancienne Ministre du logement, et Jean-François Macaire, Président de Habitat et Humanisme Vienne.

Aloïs Gaborit a introduit la plénière en rappelant que le sujet du logement ne peut pas être réduit à celui de l’aménagement. C’est un enjeu de justice sociale : chacune et chacun a le droit inconditionnel à vivre dans la dignité.

Les politiques de logements sont à un tournant et ne peuvent plus être pensées comme hier. Qu’on appelle cette situation crise ou non, c’est surtout un moment charnière qui nous invite à penser d’autres manière d’habiter la ville !

Ces réflexions doivent composer avec une complexité d’acteurs, de législation, de dispositifs…et d’acronymes ! On entend souvent parler de prix du loyer, coût de la rénovation, artificialisation des sols et étalement urbain, mal-logement, sous et suroccupation etc. En vue de proposer un nouveau projet pour habiter Poitiers dans les prochaines années, cette soirée est l’occasion de se repencher sur ces termes, comprendre les réalités qu’ils nomment et les pistes de solution.

Un coût du logement toujours plus élevé en France et une situation tendue à Poitiers

Marie-Noëlle Lienemann a ouvert la soirée en résumant la situation nationale : en France, le logement coûte de plus en plus cher. Le prix de l’immobilier a ainsi augmenté de 69% en 20 ans, là où les revenus des foyers ont seulement augmenté de 29%. Aujourd’hui, on estime qu’il représente 25% du budget des ménages et que sa part (loyer et dépenses d’énergie) ne cesse de croître pendant que d’autres dépenses, comme celles dédiées à l’alimentation et la santé, doivent baisser.

Sur le mandat d’Emmanuel Macron, le financement du logement a remarquablement fondu : 1,5 milliards d’euros ont été ponctionnés sur le budget des Offices HLM, l’aide à la pierre a été retirée et la TVA a augmenté ce qui gonfle les coûts de construction. Marie-Noëlle Lienemann note en réaction une tendance pour les bailleurs à privilégier la construction de logements PLS (financés par le Prêt Locatif Social) et PLI (Prêt Locatif Intermédiaire), qui correspondent à des personnes avec des revenus trop élevés pour prétendre à des locations HLM mais insuffisants pour se loger dans le privé. Ce faisant, ils prennent moins de risques et amortissent plus rapidement leurs coûts de construction. En comparaison, les constructions de locations HLM (Prêt Locatif à Usage Social – PLUS) ou pour personnes très défavorisées diminuent (Prêt Locatif Aidé d’Intégration – PLAI).

Cette hausse du coût de l’immobilier a un impact évident sur la mixité sociale, et crée un « tamis » avec certains quartiers qui deviennent inaccessibles.

Elle lie ces augmentations à un manque de courage politique, en particulier celui de plus encadrer les prix du loyer et du foncier.

Jean-François Macaire complète cette analyse par un zoom sur la situation poitevine :

– Il y a 97 000 résidences principales sur Grand Poitiers dont 17% de logements sociaux (26% sur Poitiers). Sur les résidences principales de Poitiers, il y a 70% de locataires. Ces derniers ont soit une aspiration à être propriétaires, soit à ne pas être écrasés par le prix du loyer.

– En 2023, il y avait sur Grand Poitiers 2,7 demandes de logement pour une attribution de faite. En Nouvelle-Aquitaine, ce chiffre monte à 6,3 et au niveau national c’est 6,5.

Il existe bien selon lui une crise du logement à Poitiers, mais dans des proportions moindres que les plus grandes villes. Il y a eu sur les 3 dernières années 49% de demandes en plus pour le logement social face à 27% d’offre en moins. Il observe également que de plus en plus de personnes défavorisées saisissent la commission Dalo (Droit opposable au logement – commission qui gère notamment les priorités pour du relogement en urgence) car elles n’ont plus les moyens de payer leur loyer.

Des envies et manières d’habiter qui évoluent

Un premier temps d’échange avec le public est venu enrichir ce diagnostic. En plus du coût, on constate que nos besoins actuels en logements ne sont plus les mêmes qu’il y a 30 ans. Il y a en particulier un besoin accru pour les petits logements du fait du « desserrement des ménages », autrement dit la tendance à habiter plus souvent seul où à deux en raison de la plus longue période d’indépendance des jeunes, de l’augmentation des divorces et de l’allongement de l’espérance de vie. Attention, a rappelé Jean-François Macaire, à ne pas confondre habitat « petit » et « mal-adapté ». Il y a en particulier deux aspects à travailler pour améliorer la qualité de vie dans ces logements : (1) la proximité avec les services du quotidien et (2) une meilleure prise en compte du handicap dans l’agencement.

Une habitante a ensuite rappelé que le centre-ville doit faire l’objet d’une attention particulière car le coût des travaux y est plus élevé et les contraintes patrimoniales nombreuses. Un autre participant a souligné le poids à Poitiers des nombreux logements étudiants, qui « saucissonnent » certains logements et peuvent nourrir une augmentation des prix puisque les renouvellements de bail sont plus fréquents. Un autre cas particulier : celui des faubourgs historiques où persiste du logement très délabré, et auquel la municipalité s’attaque avec les travaux rue du Faubourg du Pont Neuf. Pour Marie-Noëlle Lienemann, la priorité est de mettre fin aux situations de mal-logement, qui touchent aujourd’hui plus de 4 millions de foyers.

Mieux connaître l’état local du logement pour engager le débat citoyen

Les deux intervenants ont ensuite partagé un même constat : on ne pourra pas améliorer durablement l’état du logement sans avoir une vision claire des besoins. Or cela pêche, il y a un véritable besoin de données locales et nationales ! Pour cela, ils plaident pour plus d’observatoires locaux du logement comme il existe à Poitiers, afin d’agréger dans un second temps une vision au niveau du pays.

Ces observatoires ne peuvent pas se contenter de recenser les logements vacants. Ils doivent fournir des informations fines, par exemple sur les coûts à engager pour rendre une maison habitable (rénovation, reconfiguration etc.). 

L’observation constitue une première étape essentielle et amène à la création d’une base de connaissances communes et sans préconçus sur nos besoins en logements, sur laquelle engager ensuite un débat de vérité avec les citoyennes et citoyens. La participation citoyenne sur les sujets du logement est aussi cruciale qu’inhabituelle. Pour Marie-Noëlle Lienemann, cela relève d’une révolution culturelle qu’il faut mener si on ne veut pas que l’individualisme l’emporte dans les décisions d’aménagement et au contraire susciter une adhésion partagée à un projet de territoire inclusif.

Au national, on pourrait imaginer à terme que les données des observatoires locaux soient remontées au Parlement pour faire l’objet d’une grande loi de programmation. Dans celle-ci, l’Etat s’engagerait à financer les communes et celles-ci à mettre en œuvre la construction et réhabilitation des logements prévues par la loi. Les communes prendraient le temps de faire le point sur l’atteinte des objectifs tous les ans lors d’un débat en conseil municipal.

Des pistes de solution concrètes pour nourrir les propositions de Poitiers Collectif

Pour Jean-François Macaire, les transformations du logement nécessiteront aussi d’embarquer fortement les propriétaires. Par l’information d’abord : certains ne savent pas qu’ils pourraient rénover leur logement sans avoir à investir de leur poche alors que c’est possible avec le bail de réhabilitation. En visant, ensuite, ceux qui disposent de foncier stratégique pour mettre en œuvre une politique d’aménagement cohérente. C’est le cas des propriétaires de parcelles inutilisées ou sous-occupées près des grands axes routiers. Il faudrait pouvoir les contacter un à un et travailler ensemble à une densification intelligente de leur terrain pour éviter d’artificialiser autre part. Autrement dit, un travail de fourmi pour penser très finement l’aménagement parcelle par parcelle.

En lien avec la question de la mobilisation citoyenne, Aloïs Gaborit a partagé l’exemple d’un groupe d’habitants qui s’étaient regroupés pour acheter un pavillon à Poitiers. Les zones pavillonnaires concentrent des besoins en intervention foncière pour permettre une densification douce et raisonnée tout en améliorant la qualité de vie. Mais pour ce faire, les outils manquent actuellement à l’exception de l’Etablissement Foncier Public de Nouvelle-Aquitaine. Ne faudrait-il pas créer de nouveaux outils fonciers ?

Pour clore sur la question de l’habitat, Marie-Noëlle Lienemann a soufflé quelques pistes d’actions à Poitiers Collectif :

  • Créer un EPF local, financé par une petite taxe sur les transactions qui soit en partie débitée des taxes qui vont aux EPF.
  • Mobiliser les Baux Réels Solidaires (BRS) qui permettent l’accession à la propriété pour les ménages modestes en dissociant coût du bâti et coût du foncier.
  • Définir dans le Plan Local d’Urbanisme (PLU) des zones à densification raisonnable, ce qui pourrait constituer un motif d’intérêt général de préemption.

Complétés par deux autres fils à tirer proposés par Jean-François Macaire :

  • Mettre en place d’une foncière solidaire avec l’aide de la Région.
  • Mobiliser les promoteurs, constructeurs, artisans, membres des maisons d’architecture qui pourraient aussi être intéressés par cette révolution de la pensée (densifier au lieu d’étendre) et amener des pistes de solution.

Habiter la ville au-delà de la question du logement

Cette soirée foisonnante en idées s’est terminée par des réflexions sur les autres facteurs qui influent nos attentes et nos manières d’« habiter », de l’évolution du climat à la proximité des services publics.

L’occasion de rappeler le besoin d’espaces publics de qualité et végétalisés. L’Organisation Mondiale de la Santé recommande d’appliquer la règle des 3/30/300, qui a par exemple été appliquée dans le récent quartier des Montgorges, et garantit partout en ville de :

– Voir au moins 3 arbres depuis sa fenêtre

– Être à 30m d’un petit espace vert

– Être à 300m d’un grand espace vert

On ne s’appelle pas Poitiers Collectif pour rien ! Le mot de la fin a porté sur le besoin de remettre de l’humain et du collectif dans les manières d’habiter. Les régies de quartier, buanderies collectives, jardins partagés et l’habitat participatif sont autant d’outils qui ont le vent en poupe, renforcent les relations de voisinages et luttent contre le repli sur soi.

Cette plénière a donné du grain à moudre aux dix groupes thématiques qui travaillent sur un programme pour les municipales de 2026. Vous souhaitez en savoir plus sur leurs propositions ? Rendez-vous le 10 juillet, à 20h, sous la verrière de l’îlot Tison pour les découvrir !