Ce week-end, une décision votée en conseil municipal à Poitiers, s’est retrouvée propulsée au cœur d’une polémique aux résonances nationales. La délibération du 29 mars, votée à l’unanimité, concernait l’ensemble des aides accordées à 92 acteurs du sport poitevin. Parmi elles, deux clubs de sport motorisés y voyaient leurs subventions diminuées de moitié, sans pour autant mettre en péril leur équilibre financier. L’objectif ? Favoriser les associations mises en difficulté financièrement en cette période de pandémie, et réinterroger l’allocation de l’argent public au prisme de l’urgence écologique et climatique. Quelques jours plus tard, cette décision était devenue, sur les plateaux télévisés, dans la presse nationale et sur les comptes twitter de responsables politiques de premier plan, au choix, un symbole de la dictature écologiste, une tentative d’embrigadement des esprits, un mépris envers les enfants en situation de handicap, un soutien à l’islamisme radical…
Nous ne reviendrons pas ici sur le fond du débat, mais sur la forme qu’il a prise et ce qu’elle traduit de l’état de santé de notre démocratie.
Retraçons la chronologie de cette polémique : tout est parti d’une phrase, une seule, prononcée par Léonore Moncond’huy, maire de Poitiers, lors d’un conseil municipal fleuve de 6h30. Cette phrase était une réponse, certes maladroite, à une interpellation hors-sujet de la part du groupe d’opposition LREM visant explicitement à susciter l’émotion – puisque la baisse des subventions ne remet pas en cause l’activité des aéroclubs. Très éloignée du véritable sujet du débat, c’est pourtant elle qui a été partagée, repartagée, tweetée, retweetée, commentée par des responsables politiques de tous bords, puis s’est invitée sur tous les plateaux télé et radio, de France Info à LCI, de TF1 à BFM, de CNews à RMC. Petit florilège de ce que nous avons pu lire, entre insultes et désinformation :
« Vraiment des ordures les écolos EELV. Priver des enfants handicapés de pouvoir une fois monter dans un avion. J’en vomi (sic) »
« La haine de l’enfant comme doxa chez les écolos Khmers verts »
« A Poitiers, la municipalité veut se venger de Charles Martel en 732 et de la mort d’Abd-Ek-Rahman (sic) ? Peut-être que le Conseil Municipal a des relents islamo-gauchistes pour vouloir punir les français handicapés ? »
« La mairie de Poitiers supprime les subventions à des aéroclubs accueillant les enfants handicapés » (…). Bientôt ils vont interdire Saint Exupéry, brûler Vol de Nuit et décapiter le Petit Prince »
En politique, déplacer le débat pour éviter les vrais sujets de fond n’est pas une nouveauté. Ce qui est nouveau, et plus inquiétant encore, ce sont les conséquences de ces pratiques avec les réseaux sociaux, relayées sans filtre par de nombreux médias. Monter en épingle une petite phrase isolée permet à des responsables politiques de faire le buzz à peu de frais, sans s’alarmer un seul instant de la tournure haineuse des commentaires sur les réseaux sociaux. Ce déferlement traduit bien la simplification binaire du débat public à l’oeuvre, “pour ou contre”, “noir ou blanc”, qui interdit tout sens de la nuance et toute modération dans les propos.
On nous rétorquera sur un ton au mieux compatissant, au pire condescendant que “c’est ça la politique, ça fait partie du jeu” et que “la politique, c’est pas pour les bisounours”. Mais, pour nous, faire de la politique ce n’est pas communiquer à partir d’informations partielles ou erronées, encore moins relayer des torrents d’insultes. Ce sont des pratiques d’un ancien monde qui s’accroche tant bien que mal à son pré carré. Pour nous, le véritable rôle des élu.e.s et des responsables politiques, c’est de rétablir le dialogue plutôt qu’alimenter la haine, viser la pédagogie et le débat plutôt que rechercher le buzz, œuvrer pour l’intérêt général plutôt que semer le chaos et la division.
Nous tenons également à évacuer le procès en victimisation : ce phénomène n’est pas nouveau et peut toucher n’importe quel homme, n’importe quelle femme politique. Nul n’est à l’abri, quel que soit son bord, d’être pris à parti et jeté dans l’arène. Qui peut raisonnablement estimer que “cela fait partie du jeu”? Nous serions les premiers à condamner ce genre de lynchage.
Nous voulons dénoncer l’irresponsabilité des politiques qui utilisent ces techniques éculées n’ayant qu’un seul but, détourner l’attention des citoyens du vrai débat de fond, et ce, pour faire le buzz.
Car le grand perdant de cette histoire, c’est bien le débat public. Dans un contexte politique extrêmement tendu, marqué par une forte défiance envers les élu.e.s et par des taux d’abstention records lors des différentes élections locales et nationales, nous avons besoin d’avoir de vrais débats de fond, honnêtes, contradictoires, sérieux, apaisés. Avons-nous eu un débat contradictoire sur les émissions de gaz à effet de serre du secteur de l’aviation ? Sur les moyens et possibilités de les réduire ? Sur l’utilisation de l’argent public en temps de crise écologique, sociale et sanitaire ? Sur notre rapport au progrès ? Sur les priorités des politiques sociales, éducatives, et pour la jeunesse d’aujourd’hui ? Non, et c’est bien dommage, tant ces questions sont cruciales pour dessiner un horizon commun, écologiquement viable, partagé par toutes et tous. Ce qui s’est passé ce week-end ne correspond en rien à l’idéal de renouveau démocratique que nous souhaitons porter à Poitiers Collectif, et pour lequel nous avons été élus par les Poitevines et les Poitevins.
N’en déplaise aux tenants de la vieille politique, nous continuerons donc à porter cet idéal démocratique. Oui, il est possible de faire de la politique autrement, d’amener des débats contradictoires et éclairés dans l’espace public, de favoriser la diversité des points de vue. Oui, il est possible pour chacune, chacun, quelles que soient ses ressources, son milieu social, ses origines, son genre, son âge, de s’impliquer, de faire entendre sa voix, d’agir pour améliorer son quotidien. De faire vivre notre démocratie, d’apporter sa pierre à l’édifice commun. Loin des polémiques stériles, des faux débats, des postures politiciennes, de la désinformation assumée.
Finalement, ce déferlement de commentaires haineux dans les réseaux sociaux et de tacles politiciens sur les plateaux aura eu au moins un mérite : montrer que l’évolution des mentalités et de l’imaginaire collectif sont indissociables pour répondre aux enjeux du XXIe siècle, qui ne sont plus ceux des siècles précédents. Nous ne sommes ni dogmatiques, ni tristes, ni cyniques, comme nous avons pu le lire : nous sommes réalistes face à un monde qui se dirige tout droit vers une augmentation de 5°C d’ici la fin du siècle, et déterminés à agir pour garder notre planète vivable pour ses habitants. Nous avons dix ans pour tout changer : le monde d’après n’attend pas.
Les élu.e.s de la majorité municipale