[Billet d’humeur] Liste citoyenne, mouvement collectif : un projet en cours

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Liste citoyenne, mouvement collectif : le nom de quoi ?

Le 7 février dernier, Le Monde publiait une enquête sur les “listes citoyennes” qui s’organisent et candidatent aux élections municipales à venir. Derrière ce label se rassemblent des mouvements et des projets politiques très divers qui vont du municipalisme au communalisme et passant par le citoyennisme[1]. Pour prolonger et illustrer ces réflexions, les citoyens impliqués dans le projet appelé Poitiers Collectif proposent de revenir sur l’expérience qu’ils vivent et qu’ils construisent. Leur histoire est traversée par des dynamiques profondes : inventer une identité, constituée d’un nom, d’images, d’une histoire mêlant passé et avenir, et travailler ensemble, sur le long temps, à la construction d’une démarche et d’un programme

Trouver un nom : mouvement, partis, citoyens

Le dimanche 6 mars, au marché des Couronneries, un quartier de Poitiers, les militants de Poitiers Collectif distribuent les tracts qui présentent la liste et les grands axes du programme. Sur le tract : une femme, en plan américain, regard fixe. En haut, un nom : Poitiers Collectif.  Une passante, recevant un tract, s’arrête et commente : “C’est qui ? Ah mais c’est Léonore !”. La militante répond : “Non, c’est Poitiers Collectif”. Ce nom, “Poitiers Collectif”, a été choisi en juin 2018, dès les premières séances qui rassemblent les personnes intéressées par ce projet de mouvement citoyen. Il allait participer à la définition et à la construction de notre identité. Et à 20, à 30, parce qu’au départ nous étions, logiquement, assez peu, nous avons mis en oeuvre les pratiques de l’Éducation Populaire : des travaux de groupes, du papier, des ciseaux, des paperboards, autant de supports et de démarches qui allaient permettre de construire ensemble, de réunir nos idées, d’essayer de laisser de côté les débats anecdotiques, les questions qui nous divisent et de faire avec ce qui faisait commun.

C’est le désir de renouvellement de la situation politique municipale locale qui nous unissait, situation installée depuis des années et incarnée depuis deux mandats par un seul nom, une seule figure. C’était de laisser la place, dans la construction du programme, de la liste comme dans l’exercice des six années du mandat à venir, aux citoyens et citoyennes de cette ville de Province. Pour autant, nous ne souhaitions pas faire table rase, loin de là, nous avions besoin de l’expérience de celles et ceux qui avaient déjà exercé des mandats locaux et qui, pour certains et certaines siègent en cette fin de mandature au conseil municipal de Poitiers ; nous avions besoin de leur expérience militante, politique, syndicale, associative, nous avions besoin de leur savoir-faire technique, des compétences professionnelles de celles et ceux qui travaillent dans les services publics comme dans le secteur privé ou associatif. Aujourd’hui, ce nom, “Poitiers Collectif”, recouvre six organisations politiques qui nous ont rejoints, et au final une belle cohabitation de personnes encartées et non encartées (40% et 60%) qui veulent faire collectif et agir pour leur ville.

Incarner le collectif : logo, visages et figures

Le premier signe visuel adopté par le collectif, quelques semaines après les premières réunions, fut un logo en forme de C ou d’hémicycle, coloré de vert, de rouge, de bleu émeraude, un symbole de couleurs croisées, d’espace de parole, ouvert, protégeant en même temps le collectif et le nom de notre ville. Nous n’avions alors pas de visage à montrer parce que nous étions un corps homogène, non hiérarchisé, dans lequel personne ne se prétendait plus expérimenté que l’autre ni plus légitime. Parce que nous ne nous posions pas la question des “têtes” de liste. Ce qui nous préoccupait c’était le programme. Nous avions un an et demi pour l’écrire ensemble. Il se décline aujourd’hui en dix propositions articulées autour de trois thématiques : l’écologie, la démocratie, la justice sociale[2].

L’agenda était fixé, la démarche était transparente : la question de l’incarnation, nécessaire et exigée par les dispositifs institutionnels, se poserait à l’automne 2020, date à laquelle il était prévu de faire émerger les 20 personnes qui constituent un socle premier de la liste. Ces 20 personnes, démocratiquement choisies parmi les personnes investies dans le collectif ont ensuite participé à une élection sans candidat dont est sortie un seul nom. C’est Léonore Moncond’huy qui fut nommée tête de liste. Les premières affiches pour lancer la campagne, nos premiers tracts, le clip de campagne, mettent en avant le collectif, un groupe de personnes.

Pourtant, le poids de l’incarnation individuelle reste fort dans la perspective d’une élection municipale et l’image que certains croient lire de notre tête de liste marque le début de la campagne : “Elle est jeune et vous, vous êtes inexpérimentés”. Pour les habitants comme pour les médias, cette difficulté de passer de l’individu au groupe, nous la ressentons chaque jour en tractant, en faisant du porte à porte, en donnant des interviews. Il est difficile d’expliquer pourquoi ce n’est pas toujours la tête de liste ni même un porte-parole attitré qui s’expriment. Et oui, les citoyens ont besoin d‘identifier quelqu’un. Pour nous, cependant, c’est un principe fondamental dans notre projet de renouvellement politique et jusqu’à aujourd’hui jamais Léonore Moncond’huy n’est partie seule en tête, sans ce collectif qu’elle a contribué à construire, qu’elle a voulu, comme tous ceux et toutes celles qui le composent. Selon son parcours, chacun projette dans le collectif sa représentation de référence : le modèle associatif qui se construit autour de valeurs et d’actions, le collectif d’artistes qui partage outils et échanges avec un public, l’assemblée citoyenne, de l’Athènes antique jusqu’à Nuit Debout. Il s’agit bien ici d’apprendre et même de réapprendre à dire nous dans la communication politique. Pour certain cela veut dire accepter de ne pas dire je, pour beaucoup d’autres, c’est oser prendre la parole.

Exprimer ses idées : un slogan, beaucoup de travail

Bâtir un collectif, un programme, une trajectoire est un engagement important. L’absence de leader demande à chacun de s’investir et de prendre ses responsabilités. Il a fallu d’abord confronter les idées,  des envies et des utopies mutuelles en terme d’écologie, de justice sociale mais aussi de gouvernance et à partir de cela élaborer du consensus. Pour résumer, les étapes ont été atteintes dans un ordre voulu et décidé par tous mais qui demeure presque miraculeux tant il demanda de réunir les énergies et de se tenir à ce qui était décidé : un programme, une liste, une tête. Avec la conscience de celle et ceux qui aujourd’hui se lancent en politique : c’est collectivement qu’il faut s’engager, penser, résister et inventer. A Poitiers Collectif, les réunions ne sont pas plus nombreuses que dans d’autres mouvements politiques ou associatifs, mais elles durent parfois plus longtemps car la parole de chacun y a sa place et doit être entendue. Le projet citoyen n’est pas un irénisme naïf, mais il demande du temps.

Les médias se font l’écho de l’émergence de ces listes citoyennes. A l’échelle nationale, les articles tentent de trouver des points communs et une cohérence à des projets protéiformes. Le projet porté par les habitants de la commune de Saillans sert alors à la fois de modèle et de comparaison. A l’échelle locale, la PQR se fait l’écho de premiers sondages. Les chiffres laissent entrevoir des déplacements dans les comportements électoraux qui peuvent aboutir parfois à des surprises (à Lille, à Tours, à Poitiers où Poitiers collectif est en bonne deuxième place dans les sondages). Pour tous les habitants engagés dans ces mouvements, la perception est forcément différente. Le succès des listes citoyennes est la concrétisation du sentiment qui les a porté à s’engager il y a souvent plusieurs mois, voire plusieurs années, dans un projet de renouvellement. L’ampleur que prend ce mouvement n’est pas une surprise, mais elle devient maintenant une responsabilité.

Concrétiser : le deuxième tour et après

Le 1er tour des municipales s’est déroulé dans les conditions que l’on sait : la crise sanitaire a contribué à accentuer l’abstention déjà grandissante ces dernières années lors des élections, qu’elles soient locales ou nationales. Pourtant Poitiers Collectif a créé la surprise en arrivant en deuxième position derrière le maire sortant, avec près de 24 % des suffrages. Dès le lundi suivant le premier tour, nous avons décidé de suspendre la campagne : l’urgence était ailleurs. Les deux mois de confinement ont vu cependant les militants et militantes se mobiliser pour créer du lien, apporter de l’aide à celles et ceux qui en avaient besoin, soutenir les initiatives locales et travailler pour la suite : les réunions et événements en visioconférence nous ont permis de continuer à écouter, observer, échanger pour construire le monde de demain à l’échelle de Poitiers et Grand Poitiers

À la fin du mois de mai, le NPA a apporté son soutien à une tribune appelant les citoyens et citoyennes de la ville à se rassembler autour des valeurs portées par cette liste composée à 60 % de personnes non-encartées. Le projet de Poitiers Collectif trouve de plus en plus d’écho auprès des préoccupations des habitantes et habitants montrant ainsi qu’il n’y aura sans doute pas de repli vers un passé qui se voudrait rassurant mais bien que les citoyens et citoyennes veulent changer de perspective politique : l’ancien fonctionnement, vertical, basé sur trop peu de concertation et d’écoute est obsolète. L’espoir d’un changement radical, profond se dessine peu à peu et devient plus tangible. L’été 2020 verra un autre avenir se dessiner pour Poitiers !

 

[1]https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/07/le-municipalisme-ou-la-commune-au-pouvoir_6028746_3232.html

[2]https://poitierscollectif.fr/wp-content/uploads/2020/02/ProgrammeVF.pdf