Quelles solutions pour les femmes en situation de précarité ?
Deuxième table ronde du cycle « Femmes et précarité » du groupe Solidarités de Poitiers Collectif
Intervenantes :
Martine Barbottin, accompagnatrice socio-professionnelle à SATE 86, association dont l’objet est l’insertion durable des demandeurs d’emploi en difficultés d’insertion professionnelle. La SATE agit et lutte contre l’exclusion, la cohésion sociale, le travail pour tous, l’autonomie des personnes, l’ouverture et la force de proposition en travaillant en partenariats avec de nombreux acteurs de grands Poitiers.
Mad Joubert du CIDFF, qui agit en faveur d’une société démocratique égalitaire entre les femmes et les hommes, fondée sur des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Le CIDFF lutte contre les discriminations dans tous les domaines et agit au quotidien avec l’objectif d’aider les femmes à s’affirmer comme des citoyennes autonomes et participant pleinement à la conduite de leur vie. Par le biais de l’accueil, de l’écoute, de l’information et de l’orientation du public.
Magali bénévole à Médecins du Monde de l’antenne de Poitiers. Coordinatrice du programme l’ABRI créé en 2004, qui accompagnent les travailleurs du sexe. Médecins du Monde est une ONG médicale de solidarité internationale qui agit sur cinq grandes thématiques : santé sexuelle et reproductive, réduction des risques, droits et santé des migrants, urgences et crises, santé et environnement.
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Animation : Présentation par Julie, Léonore, et Didier de la démarche Poitiers Collectif.
Objectif de notre table ronde : valoriser les actions existantes sur le territoire en invitant des acteurs de terrains et identifier les besoins à faire émerger auprès d’une municipalité. Permettre un espace d’écoute, d’expression et de partage.
Déroulement : 3 questions posées aux invités afin de cerner le public touché sur cette question, connaître les projets existants et identifier des leviers à mettre en œuvre.
Martine Barbottin, SATE 86 :
Association dont l’objet est l’insertion par l’activité professionnelle, pour les publics précaires. Notre rôle = leur trouver des missions de travail, faire l’intermédiaire. Généralement, ceux sont des personnes pas ou peu qualifiés, d’un niveau scolaire généralement faible et/ou avec peu de formations professionnelles. Les personnes accueillis sont ce qu’on appelle publique prioritaires, c’est-à-dire ceux inscrit à pôle emploi depuis plus d’un an, les bénéficiaires du RSA, les jeunes sans qualifications, les travailleurs handicapés et les personnes bénéficiant des minimas sociaux. La SATE reçoit aussi beaucoup de personnes d’origine étrangère (guinéennes en particulier, en ce moment, et camerounaises), qui maîtrisent pas encore la langue française, mais qui dans leurs pays ont souvent de super qualifications. Durée d’insertion de deux ans.
On accueille un plus grand pourcentage de femmes, car nous travaillons avec les secteurs de la propreté, de la petite enfance, de la restauration collective, beaucoup plus occupés par les femmes… Ce ne sont pas des emplois à plein temps, on est sur du temps partiels majoritairement. Le fait que l’on soit une association, on propose surtout des missions intérimaire à temps partielles. Nous faisons l’intermédiaire entre les personnes, et les structures = nous leur proposons de l’intérim. C’est différent d’un chantier d’insertion (comme l’Eveil par exemple).
On fait travailler environ 90-100 femmes en moyenne par mois (sur 130), dont 8-10% d’analphabètes.
LE problème n°1 : Les gardes d’enfants. Notamment pour les mères de famille nombreuses. Difficile pour les femmes d’avoir un emploi à temps pleins.
Problème n°2 : la locomotion. Les bus ne sont pas adaptés. Par exemple, pour aller zone de la République, il n’y a qu’un bus le matin mais si on rate le bus on ne peut pas aller travailler.
Problème n°3 : manque de qualifications, ou éloignement du travail depuis longtemps. Beaucoup de personnes analphabètes. 8 % d’illettrisme dans le public reçu par la SATE 86 sur 93 femmes par mois. (environ 130 travailleurs en tout par mois).
Autre difficulté : les femmes sont souvent seules, leurs maris travaillent et ils ont généralement beaucoup d’enfants, ce qui est compliqué quand elles veulent travailler quand même. Elles sont donc dirigés vers des emplois comme le ménage, ce qui alimente les clichés.
Aussi, l’intérim ne permet pas de régularisation dans les missions.
-> actuellement la SATE essaie de sensibiliser les entreprises à l’aménagement des horaires. On peut faire le ménage pendant que les gens travaillent et ne plus être obligé de venir très tard ou très tôt ce qui n’est pas arrangeant pour les femmes.
Mais 58 % des femmes ont trouvé un emploi stable l’an dernier, appelé aussi emploi dynamique, supérieur à 6 mois, mais là encore très peu de temps pleins.
Les clients : gros marché avec la mairie de Poitiers avec des missions d’animateur périscolaire, 1h30 par jour et la restauration collective. Ça ne représente pas du temps plein. La SATE travaille aussi beaucoup avec les associations, des collectivités et bailleurs sociaux. Quelques particuliers, très peu d’entreprises puisque la législation qui concerne les associations intermédiaires limite à 470 h/an, jusqu’au mois de juillet c’était 750h/an. Les femmes travaillent beaucoup dans les hôtels du Futuroscope et dans cette zone.
On propose parfois des petites formations professionnalisantes avec des structures qui adaptent leurs formations à notre public : entretien écologique, hygiène alimentaire, premiers soins, formations express pour faire du service, du lavage de vitres, repassage du linge (un homme seulement !), vente en magasin, BAFA (avec les CEMEA, l’UFCV)… Pour ces derniers, il peut y avoir un parcours petite enfance > Animation via le BAFA > Embauche en périscolaire par la Mairie + Formation aux comportements « sociaux » au travail. Les personnes sont en générales très motivées après ces formations.
Un cas particulièrement admirable : les femmes guinéennes, nombreuses, qui habitent dans les quartiers et travaillent dans les hôtels du Futuroscope. Conditions de travail qui font d’elles des personnes corvéables à merci, et les conditions de mobilité (horaire, lignes de bus pas directes) sont vraiment déplorables.
Problème de garde d’enfants : peu de solutions adaptées existent sur Poitiers. Il y a une crèche adaptée aux Couronneries, mais il y a des conditions assez drastiques pour y rentrer (« accompagnement global »).
On arrive à valoriser les personnes souvent avec des postes comme l’interprétariat, pour les personnes étrangères. Ce n’est pas beaucoup, mais c’est un travail alors que les femmes étrangères se font souvent fermer la porte ailleurs, et ensuite les autres recruteurs voient ce qu’on a fait avec ces personnes-là et on essaie de valoriser aux mieux leurs compétences.
Autres remarques :
Mad Joubert : problème d’égalité de représentation hommes-femmes, y compris dans les structures publiques comme le CCAS > les aides à domicile sont uniquement des femmes, car (dit le CCAS), « les clients ne veulent pas être aidés par des hommes ».
Quels liens avec les syndicats ? Peu de lien avec les syndicats, qui ont souvent une image erronée de notre travail. On nous accuse parfois d’’entretenir le travail précaire ». Nous n’avons pas de mauvaises relations, mais il faudrait travailler plus ensemble.
Mad Joubert, CIDFF :
CIDFF 86 = Centre d’Information des Droits des Femmes et des familles. Objectif = favoriser l’autonomie sociale, professionnelle et personnelle des femmes et promouvoir l’égalité h/f.
Il y a 3 services : accès aux droits (conseillère juridique) / emploi (Bureau d’Accompagnement Individuel lié à l’Emploi) / Ecoute psychologique. Neutralité politique et confessionnelle. Anonymat, discrétion.
Comment ?Accompagnement gratuit. Entretiens individuels et informations collectives. Sur Poitiers, en particulier QPV où nous avons des financements Etat, ville. Mais aussi en zone rurale surtout via le département : Loudun…. Au niveau de financements, il y a l’état principalement pour l’accès aux droits, la Région aide sous l’angle de l’emploi, le département aussi, mais en milieu rural et enfin la CAF. Permanences en maison de quartiers pour aider à la rédaction de CV, de lettres de motivation… Nous participons aussi aux « ateliers des parents » organisés par la Mairie, surtout dans les quartiers QPV.
Quel public ? Les femmes que nous accueillons viennent à cause du chômage, de revenus précaires, métiers qui ne permettent pas de vivre… En situation de rupture familiale, d’isolement, de violence. Situation d’illettrisme. Obsolescence des formations, un manque d’informations. Difficultés économiques pour financer garde d’enfants, le permis. Problème de mobilité (dans les milieux ruraux ++). Problème de maîtrise de la langue française. Âge (sur le marché de l’emploi, passé 45 ans, les femmes peuvent être considérées comme des seniors !), on reçoit beaucoup de femmes de plus de 40 ans. 12% des femmes accueillies sont illettrés. Dans les entretiens, les principales demandes des femmes sont : l’élaboration d’un projet professionnel, la recherche d’emploi, la formation. Aide aux lettres de motivations, démarches administratives.
Les cours de langue proposés sont largement insuffisants : 2 heures/semaine ! Pour moi, une future municipalité devrait mettre le paquet là-dessus.
[Martine Barbottin : centre InfoLangues, mis en place par un collectif d’organismes de formation sur Poitiers. Ils organisent notamment une permanence tous les vendredis à la médiathèque, autour de la lutte contre l’illettrisme, et pour la maîtrise de la langue française. Mise en relation des publics en besoin, et des bénévoles volontaires. Les besoins sont énormes ! Le CIDFF met en place des actions de stage en entreprise, c’est formidable, car c’est aussi en situation de travail qu’on apprend bien la langue, en immersion].
Jusqu’à présent, nous faisons aussi des VAE. Nous étions aussi intégrés pour des actions d’insertion dans le cadre du PLI. Mais nous avons été obligées de laisser ces deux actions, on est plus mandataire, mais prestataire.
À valoriser : les temps “pause parents” accompagnés par la mairie et l’association SANZA. Organisés en école, principalement dans les quartiers politiques de la ville (Saint Eloi, Beaulieu…)
Magali, Médecins du Monde :
A Médecins du Monde (Poitiers, pas national), nous avons un programme « Abri » qui accompagne des travailleuses du sexe.
Notre approche « ni pour ni contre la prostitution », ça se veut neutre, et ça simplifie, car la relation n’est pas jugeante par rapport aux personnes qu’on rencontre. Et s’il y a bien un sujet où les représentations sociales sont fortes, c’est celui de la prostitution ! Je n’aime pas ranger les personnes dans des cases, comme « précaires », mais c’est vrai qu’on constate que les personnes rencontrées ont des difficultés d’accès aux soins, aux droits, barrières de la langue…
Ce que l’on fait : nous sommes dans les limites de la loi française. En France, la prostitution est légale, et nous sommes sous un régime abolitionniste, et depuis 2016 la loi « de lutte contre le système prostitutionnel » a été votée à l’initiative de Mme Coutelle, qui comprend notamment un volet d’aide à la sortie de la prostitution – dans l’application de laquelle le CIDFF est impliqué. Le proxénétisme est interdit. Les Maisons closes n’existent plus depuis 1946 – officiellement… donc il n’y a pas de lieu dans lesquels MdM peut officiellement entrer. Notre activité se résume donc à rencontrer des TDS qui travaillent de manière visible. Il y en a beaucoup sur internet aussi, par exemple, mais nous n’en avons pas les moyens, notamment humains, car ça demande énormément de travail.
Quelle population ? Elle a beaucoup évolué depuis 2004. De plus en plus de Camerounaises, et aujourd’hui, population du Nigeria. Il y a aussi des franco-françaises. L’origine dépend aussi de conflits / événements mondiaux, etc. Souvent soumises à des réseaux, mais souvent les mêmes que les passeurs de migrants (pas spécifiques aux travailleuses du sexe, en fait !).
Question : quid de la prostitution étudiante ? C’est une prostitution qui se voit moins, l’AFEV y travaille un peu sur Poitiers. Ils avaient estimé à 6 ou 7% de la population étudiante concernée sur Poitiers ! Réponse : on travaille avec la médecine universitaire, qui avait suivi une formation avec les bénévoles de MdM, pour apprendre comment réagir, car c’était encore (c’est encore !) très tabou. La prostitution étudiante n’est pas qu’économique (déstructuration familiale, migrations…), et il y a aussi des prostitutions de choix. Il y a encore un travail pour que le terme de « prostitution » puisse être ne serait-ce que discuté au sein de l’Université ! Et la réponse passe aussi par l’égalité des chances réelles faces à l’accès et la réussite dans l’Enseignement Supérieur.
Ce que nous faisons : de la réduction des risques. Accompagnement médico-social. Nous faisons 1 ronde de nuit/semaine, et une ronde de jour/mois, sur la zone République, où il y a de la prostitution en camionnette. Proposer des espaces d’écoute.
Quelles problématiques des personnes ? 1/ Activité de travail. Encore très stigmatisée. 2/ Problématiques spécifiques aux populations migrantes (langues, niveau de formation/reconnaissance des diplômes… car elles ont parfois un très bon niveau d’études dans leur pays !) 3/ Pas de papiers.
Quel parcours de sortie proposé ? (mis en place par la loi). Il faut qu’il y ait une association agréée sur le territoire (dans la Vienne > le CIDFF) qui accompagne ce « parcours du combattant ». Le dossier à constituer est rocambolesque, très très complexe. Puis passage en préfecture. Si tout est accepté, elles peuvent avoir des papiers pour 2 ans max, avec renouvellement à demander tous les 6 mois. Et l’allocation est de 340 euros/mois, donc on ne peut pas vivre. MAIS elles doivent arrêter de se prostituer… MAIS la question du logement et des moyens de (sur)vie n’est pas pris en compte. Donc pendant que son dossier passe à l‘administration, etc. Elles sont censées vivre d’amour et d’eau fraîche…?
Ce n’est pas réaliste. Conséquence autre de la loi « sortie de la prostitution » : traquage des clients les soumet à une pression ++ (car ils sont pénalisables depuis 2016), et donc augmentation des violences, ils imposent leurs conditions… Et si elles résistent, la violence s’installe. Catherine Coutelle défendait le fait que l’argent de la pénalisation des clients allait aider les associations. Mais aujourd’hui le CIDFF ne bénéficie que de 4000 euros pour faire tout l’accompagnement des TdS ! Sur le terrain, cette loi est donc inapplicable. + Elles sont confrontées aux représentations de la police, par exemple une travailleuse du sexe qui porte plainte pour viol, ça ne passe pas chez eux ! Grosse difficulté de la barrière de la langue. Porter plainte la nuit quand on est anglophone, c’est pas possible ; alors si en plus on est TdS et sans papiers … ! Difficulté du temps d’accès ++ pour avoir un travail, et c’est compliqué, car on peut avoir une autorisation de séjour, sans autorisation de travail. C’est ubuesque !
Une Mairie peut aider sur l’influence faite sur les députés, sur la mise à disposition d’hébergement…
Dernier point : que peut faire une municipalité pour vous aider, pour répondre à vos besoins ?
- Accompagner les personnes migrantes. Cours de langues, hébergement… Ce qui existe est TRÈS insuffisant. Financer les collectifs qui existent déjà, par exemple sur l’apprentissage de la langue ou la formation.
- Proposer et multiplier les lieux d’écoute et d’échange, avec des personnes formées.
- Proposer des solutions pour la garde des enfants.
- Repenser les transports urbains, en fonction des publics les plus précaires. Ce qui se profile ne va pas dans le bon sens !
- Proposer des formations pour travailler sur les représentations ? Les associations ne sont presque pas financées là-dessus, alors que les besoins sont énormes. Prévention des violences sexistes et sexuelles dans les écoles, collèges, lycées, dans tous les temps éducatifs ! Le CIDFF par exemple fait du théâtre forum sur les cyberviolences dans les relations amoureuses, c’était super. En présence d’une avocate, qui disait ce qui était permis ou non au regard de la loi etc. Soutenir ++ les projets de ce type. Gros enjeu d’expliquer les lois aux jeunes. Le chantier est immense !
- Il faut valoriser les lieux qui fonctionnent bien
- Ne pas viser que les quartiers prioritaires pour les financements, car il y a des besoins de façon large
- Arrêter de mettre la lutte pour l’égalité femme/homme au même titre que les discriminations et le handicap. C’est la logique dominante à Poitiers alors qu’il s’agit d’un point urgent à améliorer et on ne fait rien pour.
Ce qui est positif à Poitiers :
- Bonne structuration associative. Cf Relais Charbonnier (structure de soins très globale, avec accueil social, sage-femme…). Il y avait eu une réduction du temps d’ouverture > revenir là-dessus ? Rouvrir des lieux existants et qui fonctionnent bien ?