Compte-rendu – Table ronde « Comment développer une agriculture de proximité ? »

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Groupe Agrimentation

30 avril 2019 – Salle Timbaud – Maison du Peuple

 

Présentation de la démarche

Présentation des intervenants & animation de la table ronde par Lola Reverchon-Billot

Comment développer une agriculture de proximité ?

La table ronde s’est tenue le 30 Avril de 19h00 à 22h00, salle Timbaud à Poitiers. Une cinquantaine de participants ont pu écouter puis échanger avec trois intervenants : Benoit Biteau, ingénieur agronome mais également paysan pratiquant l’agriculture biologique, Jacques Mathé, économiste agricole à la Faculté de Sciences Économiques de l’Université de Poitiers, spécialiste notamment des circuits courts et Benoit Grimonprez, enseignant-chercheur en droit de la nature et de l’agriculture à l’Université de Bourgogne, spécialiste notamment des enjeux du foncier agricole.

La table ronde s’est articulée autour de quelques questions essentielles ayant constitué la trame des interventions, de nombreuses questions de la salle ayant nourri les réflexions tout au long de la soirée.

Qu’est ce que l’agriculture de proximité, quel état des lieux ?

L’agriculture de proximité se définit par le critère géographique, les lieux de production agricole se rapprochant des lieux de consommation alimentaire. Elle est aussi caractérisée par un nombre minime d’intermédiaires entre le producteur et le consommateur. Le concept plus spécifique de « circuit court » s’applique par exemple dans les cas où il y a zéro ou un seul intermédiaire. Ce type d’agriculture induit des pratiques culturales différentes des pratiques dominantes, avec moins de grandes cultures, plus de maraîchage et d’élevage, et des exploitations de plus petite taille.

Si on observe aujourd’hui un développement de ce type d’agriculture, qui va de pair avec les attentes de la société en termes de respect de l’environnement et en terme de santé, il faut avoir à l’esprit que la proximité n’est pas un gage de qualité : l’agriculture de proximité contribue évidemment à offrir des produits plus frais au consommateur, mais elle n’entraîne pas automatiquement l’amélioration d’autres critères qui dépendent des choix des producteurs en termes de pratiques agraires : il peut exister une agriculture conventionnelle de proximité, même si les dynamiques observées associent le plus souvent la proximité à des pratiques plus respectueuses de la nature.

La question de la variété de l’alimentation est également soulevée : une agriculture de proximité peut-elle remplir l’assiette du consommateur avec suffisamment de variété ?

La problématique de la transformation reste d’actualité, même avec un raccourcissement des circuits alimentaires. Certaines productions, qu’elles soient commercialisées à l’autre bout du continent où dans la même commune, nécessiteront toujours un minimum de transformation. Même avec peu d’intermédiaires, ce sont des filières locales qui doivent se mettre en place, et consentir à des investissements dans des outils de transformation. Les collectivités territoriales ont notamment dans ce domaine un rôle primordial à jouer, pour aider à la constitution d’une agro-industrie de transformation locale.

Pourquoi vouloir la développer ?

Avec l’agriculture de proximité, c’est une dynamique territoriale qui peut s’enclencher pour le développement d’un système alimentaire local complet : production, transformation, commercialisation. Cette dynamique ramène de la valeur ajoutée dans le système économique local et avec la création d’emplois qui en résulte, cela représente un potentiel économique énorme pour les territoires.

De nombreuses externalités positives en découlent : des potentiels en matière d’éducation et de pédagogie, une reconnexion des acteurs et de la population avec le territoire, la transparence de l’information sur les produits pour le consommateur. La relation directe permet par exemple une meilleure transmission des attentes et des exigences des consommateurs vers les producteurs et donc une amélioration de la qualité de l’alimentation.

Quels leviers pour les Collectivités territoriales ?

Les collectivités territoriales disposent de plusieurs leviers pour favoriser le développement d’une agriculture de proximité :

  • Pour favoriser les installations et le maintien des exploitations agricoles, elles peuvent contribuer à la préservation du foncier agricole, avec les outils tels que les SCOT et les PLU qui sont de la responsabilité des élus locaux. Elles peuvent sanctuariser les terres agricoles avec les dispositifs réglementaires que sont les ZAP (Zone agricole protégée) ou les PEAN (Périmètre de protection et de mise en valeur des espace agricoles et naturels périurbains). Cette problématique de l’accès au foncier est essentielle alors 50 % des installations se font hors cadre familial. Des politiques ambitieuses peuvent être mises en place à l’image de ce qui se pratique en Amérique du nord avec la politique du « Land preserve ». Des exemples en France existent où une action forte de la commune a abouti à la préemption de terres agricoles (Barjac, en Cévennes, ou Albi,…). Des associations telles que « Terre de lien », via l’épargne solidaire, peuvent également contribuer à la préservation du foncier agricole.
  • Les communes peuvent apporter une aide à l’installation aux agriculteurs sur les terres communales
  • Elles peuvent développer une stratégie locale de filière dans le cadre des « Projet Alimentaires Territoriaux », même si la loi encadrant ces dispositifs (loi d’Avenir pour l’Alimentation, l’Agriculture et la Forêt de 2014) n’apporte aucune précision ni aucune avancée sur des moyens réglementaires ou financiers pour les collectivités territoriales.
  • La commande publique peut aussi jouer un grand rôle, bien que, dans le respect des principes de la concurrence, le critère de proximité géographique soit impossible à mettre en avant dans le choix des fournisseurs. Pour contourner cette difficulté, une collectivité territoriale peut mener un travail en amont des marchés publics, en termes d’animation du tissu de producteurs, et même dans la rédaction des marchés afin qu’ils prennent en compte les contraintes locales (quantités, saisonnalité, …)
  • Elles peuvent soutenir la création d’outils collectifs (coopératives) notamment ceux nécessaires à la transformation (conserveries, légumeries, etc….). Ce type d’outils apporte une forte motivation aux producteurs en leur permettant de mutualiser la prise de risque. Elles peuvent même prendre part directement au projet coopératif, aux côtés des autres membres, dans le cadre d’une SCIC (Société Coopératives d’Intérêt Collectif).

Des contraintes fortes

La Politique Agricole Commune (PAC) représente un frein puissant au développement de l’agriculture de proximité. Sa logique de distribution des subventions agricoles sur le critère de l’unité de surface structure de manière très puissante toute un modèle économique des exploitations : les bénéficiaires (la très grande majorité des agriculteurs) sont poussés à augmenter en permanence leurs surfaces et donc à pratiquer une agriculture intensive (en intrants, en pesticides, en mécanisation, en investissements).

Sur la question du foncier agricole, il est à noter que la veille foncière doit s’exercer réellement : les collectivités territoriales sont membres des SAFER (Société d’Aménagement Foncier et d’Etablissement Rural), mais elles n’occupent pas toujours cette fonction de la manière la plus optimale pour la préservation de leurs intérêts. Elles pourraient être plus actives de manière à réorienter la politique foncière en faveur d’une agriculture à taille plus humaine et plus durable.

La pénibilité du métier d’agriculteur représente un facteur déterminent : beaucoup de jeunes agriculteurs ou futurs agriculteurs sont encore attirés par les pratiques conventionnelles, notamment la mécanisation maximale et le fantasme technologique véhiculé par les fabricants de matériels, qui dans leur esprit est la principal source d’une amélioration de leur confort de vie.

La question de la formation des agriculteurs est un enjeu, les pratiques alternatives ayant encore peu de place dans l’enseignement. De fait, et c’est paradoxal, beaucoup d’agriculteurs se sentent démunis en termes de connaissances agronomiques, dès lors qu’ils ont à se débrouiller sans, par exemple, les outils chimiques simples d’utilisation, fournis avec mode d’emploi par les industriels.

Pourtant les potentiels de la production Bio et de petite culture (polyculture, etc…) sont démontrés avec des rendements intéressants et des revenus corrects pour les agriculteurs. Ces conditions s’obtiennent au prix d’un changement radical de modèle économique (et donc de culture, de vision du métier), dans lequel la baisse du chiffre d’affaire est largement compensée par la baisse des charges de production et des investissements (engrais, pesticides, machines, systèmes d’irrigation, etc….)

Face à ces contraintes, « l’ambiance de territoire » peut tout de même être un vecteur très fort pour changer les mentalités, les pratiques, les modèles économiques. Une dynamique de projet au niveau local, avec un vrai volontarisme politique et l’implication de tous les acteurs du système, des producteurs aux consommateurs en passant par les acteurs de la commercialisation, de la formation ou les restaurateurs, peut aboutir à enclencher un cycle vertueux en activant des leviers agronomiques et économiques démontrés, et apporter des bénéfices énormes pour les territoires : qualité de l’alimentation, santé, protection de l’environnement, des ressources en eau notamment, montée en gamme des produits, valeur ajoutée et emplois sur le territoire.

Verbatim

 

Sur l’agriculture locale :

  • « L’agriculture mitoyenne est aussi souvent citoyenne »
  • « J’attire votre vigilance sur le fait que proximité peut être différent de qualité. Oui, une agriculture de proximité peut être citoyenne, mais ce n’est pas systématique. »
  • « Une production céréalière locale, si elle part en majorité sur le port de La Rochelle pour l’export, ça ne sert à rien [pour l’autonomie alimentaire du territoire]. »

 

Sur le changement de pratiques agricoles et l’installation d’agriculteurs acteurs de la transition agro-écologique :

  • « Je crois à la valeur de l’exemple. À partir d’expériences pionnières, on peut construire des politiques publiques pertinentes »
  • « Les collectivités sont là pour être des catalyseurs de projet »
  • « Grand Poitiers est aujourd’hui très étendu ! Quand on vit à Saint Sauvant, on est dans le rural ++ , la collectivité DOIT faire quelque chose, pas seulement pour le centre ville et la périphérie. C’est une question de responsabilité. »
  • « Si y’a pas d’ambiance, y’a pas d’envie [d’installation] »