Depuis plusieurs années la démocratie tend à se réduire, dans la parole comme dans les faits, à une forme appauvrie. Il suffit de voir comment les régimes autoritaires s’en réclament aujourd’hui, ou bien de constater la fatigue qui touche les grandes démocraties occidentales. La démocratie, finalement, s’est vue réduite à un ensemble d’institutions, au premier rang desquelles l’élection. Bien sûr, ces équilibres institutionnels sont des conditions nécessaires à toute démocratie. Mais ils sont insuffisants à eux seuls pour la caractériser. La démocratie c’est aussi, et tout à la fois, un mouvement et un idéal.
La démocratie c’est, d’abord, un mouvement, car elle exige la participation continue des citoyen·nes à la chose publique. C’est même là son origine, puisque dans l’antiquité grecque la condition de la démocratie était l’implication de tous dans les affaires de la cité. Cette condition était d’ailleurs organisée par le tirage au sort, qui permettait à tout citoyen de prendre part directement aux décisions qui concernaient la collectivité. Si l’élection a fini par remplacer le sort dans les démocraties modernes, ces dernières se fondent néanmoins sur la participation politique des citoyen·nes. La célèbre citation de Lincoln est d’ailleurs là pour le rappeler : la démocratie est le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple. Pourtant, ce mouvement démocratique s’est progressivement paralysé. L’enfermement des choix politiques dans une culture gestionnaire, où seuls les experts ont voix au chapitre, ainsi que le mépris affiché aux volontés populaires, ont fini par éloigner les citoyen·nes de ce dont ils sont pourtant les principaux acteurs. L’abstention élevée lors des dernières élections, impensable dans une démocratie saine, comme la réaction violente des gouvernants aux récents mouvements sociaux, en sont notamment le signe. La responsabilité d’E. Macron dans cette désaffection et ces reculs démocratiques est, à cet égard, considérable. En témoigne l’exemple, parmi d’autres, de la Convention citoyenne pour le climat dont les propositions ont été détournées ou refusées. Derrière le discours de la participation citoyenne se cache ainsi, en réalité, un mépris profond pour le pluralisme démocratique.
Toutefois, cette situation n’est pas une fatalité, et le mouvement démocratique est à même de retrouver sa force et sa signification. À travers, par exemple, la participation aux prochaines élections présidentielles et législatives. Quelle que soit la couleur glissée dans l’urne, ce simple geste constitue un acte citoyen à part entière. Il exprime un intérêt pour la chose publique, et affirme un principe essentiel : « un·e citoyen·ne, une voix ». Aussi le vote importe-t-il pour ne pas laisser aux autres le choix de décider de notre avenir. Evidemment, le mouvement démocratique ne se réduit pas au vote. Il repose aussi, et principalement, sur l’engagement citoyen du quotidien, celui des nombreuses solidarités qui maillent notre société. La crise du coronavirus les a d’ailleurs mises en lumière : ce sont tous ces gestes d’aide qui nous ont permis de rester unis. C’est pourquoi nous nous devons collectivement d’encourager les initiatives citoyennes, qui contribuent à faire de l’égalité, de la solidarité et de l’émancipation des réalités concrètes, et de soutenir les associations sportives, culturelles, éducatives qui permettent au quotidien de donner sens au vivre-ensemble.
Si donc elle est un mouvement, la démocratie est tout autant un idéal. La liberté individuelle, l’équilibre des pouvoirs ou le pluralisme des idées, sont pour elle autant de principes supérieurs qui doivent définir notre horizon commun. C’est cet idéal démocratique qu’il importe de défendre et d’affirmer, au premier rang contre les forces antidémocratiques qui la menacent. Ces forces qui émanent, d’abord, de l’intérieur, avec ces discours ouvertement xénophobes, appelant à l’établissement d’un pouvoir autoritaire en France et au musellement de la presse. L’Histoire nous a montré, de manière tragique, que le renversement de la forme démocratique fut avant tout la conséquence de renoncements et de replis à l’intérieur même de la société. Aussi importe-t-il, collectivement, de ne pas céder aux outrances et aux simplifications. Ces forces antidémocratiques, elles sont visibles, ensuite, à l’extérieur, et l’actualité tragique ne manque pas de nous le rappeler. La guerre décidée seule par V. Poutine contre l’Ukraine et son peuple témoigne des dangers qu’un pouvoir autoritaire fait peser sur la stabilité et la paix internationales. Au-delà des souffrances injustifiables et des tragédies quotidiennes causées par l’invasion du dirigeant russe, cette guerre est aussi une guerre contre les valeurs démocratiques : la liberté et la souveraineté du peuple ukrainien étant ouvertement niées. La réponse des régimes démocratiques doit ainsi être ferme et solidaire. Nous saluons, à cet égard, l’unité et la volonté affirmées par les nations européennes dans ce moment historique. Elles nous rappellent que l’Union Européenne incarne et porte la voix de la paix démocratique dans le monde.
La ville de Poitiers se tient elle aussi aux côtés du peuple ukrainien. La générosité et la solidarité des poitevin·es témoignent des liens qui nous unissent avec celles et ceux qui doivent fuir leur pays, et celles et ceux qui y restent pour combattre et défendre leur liberté. Nous adressons aussi nos pensées aux milliers de russes qui osent manifester leur attachement à la paix, au prix eux aussi de leur liberté voire de leur vie.
De Paris à Moscou, en passant par Kyiv les évènements nous montrent à quel point la démocratie est un acquis fragile, mais ô combien précieux.