Les finances publiques locales menacées ? [Intervention de Robert Rochaud]

Partager cet article

Partager cet article

« Madame la Présidente, Cher·es collègues,

Nous nous apprêtons à voter le budget Principal 2022 de la Communauté Urbaine de Grand Poitiers, en continuité des orientations que nous avons définies en début de mandat :

  • Le redressement de la santé financière de la communauté urbaine par la maîtrise des dépenses de fonctionnement en évolution de 1.5% par an, et par l’actionnement du levier fiscal, en visant un taux d’épargne brute de 10%
  • Un niveau annuel d’investissements de 36M€ permettant la réalisation des projets en faveur de la transition écologique et des solidarités conforme à nos feuilles de route.

Qu’en sera-t-il l’année prochaine ?

En ce qui me concerne, je suis très inquiet et je souhaite vous faire part des raisons de mon inquiétude quant au financement de nos politiques publiques.

  1. La suppression de la CVAE

Le 17 mars dernier, le président sortant, candidat à sa réélection, a annoncé la suppression complète de la Cotisation sur la Valeur Ajoutée des Entreprises (CVAE) en cas de réélection. Pour notre EPCI, ce sont environ 12M€ qui disparaitront.

Certes Laurent Saint-Martin, rapporteur général de la Commission des finances de l’Assemblée Nationale a promis une compensation intégrale pour les collectivités « par une ressource dynamique qui pourrait être une fraction de TVA », mais l’expérience montre que si la compensation est à l’Euro près au moment du transfert, il n’en est pas de même dans la durée. Qu’en sera-t-il en fonction de l’inflation et/ou de l’évolution de l’activité économique ?

Il y a deux ans, en sollicitant la Chaire d’économie urbaine de l’Essec, France urbaine avait notamment souhaité objectiver et documenter l’étrange paradoxe selon lequel la remise en cause des impôts économiques locaux étaient au cœur du lobbying des fédérations professionnelles nationales, alors même que, localement, le bien-fondé de la fiscalité économique locale ne souffrait guère de remise en cause : « la fiscalité locale ne semble pas être, sur le terrain, un sujet de préoccupation majeure pour les entreprises, entités territorialisées (…) les chefs d’entreprises savent qu’ils ont un territoire en partage avec les gestionnaire publics locaux ».

La récente thèse de Matthieu Chtioui, qui en résulte confirme que « les variations de l’emploi sont peu sensibles à la fiscalité locale mais qu’elles sont en revanche positivement corrélées à la dépense publique en matière d’équipement ».

Les médias généralistes, quant à eux, font le choix de privilégier l’angle de comparaisons internationales dont la diffusion s’avère inversement proportionnelle à la fiabilité méthodologique sur lesquelles elles sont bâties.

Si les entreprises sont, pour les collectivités, pourvoyeuses d’emplois, elles sont aussi sources de coûts.  Elles induisent des charges directes et des dépenses, en particulier du fait de la présence de leurs salariés et de leurs familles (aménagement du cadre de vie, dépenses d’accueil scolaire, etc.)

La suppression de la CVAE, dernier impôt économique qui permet de faire contribuer les entreprises aux infrastructures et aux services publics locaux dont elles et leurs salariés bénéficient sur le territoire de l’EPCI répond donc plus à une motivation idéologique qu’à une recherche d’une réelle efficacité économique

2. La rigueur budgétaire imposée par l’Etat

Une autre annonce est lourde de menaces sur le financement des collectivités locales. Celle de 10 milliards d’économies pour les collectivités sur le prochain quinquennat et du retour de la contractualisation si Emmanuel Macron est réélu.

Pour Jean René Cazeneuve, membre de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, « Vu de Bruxelles et de nos créanciers, la dette de l’Etat, de la Sécurité sociale et des collectivités territoriales est commune. Il faut donc que tout le monde contribue au redressement des finances publiques si l’on veut réussir à repasser sous la barre des 3% de déficit public annuel d’ici à la fin du prochain mandat ».

Le président sortant réclame dans son programme 20 milliards d’euros d’économie répartis entre l’Etat et les collectivités territoriales. Laurent Saint-Martin révélant lors de son grand oral devant les associations d’élus locaux : « Ce sera un effort de 10 milliards sur la progression des finances locales que nous attendons des collectivités de la même manière que l’État doit le faire ».

Si la question de la réduction de la dette financière de la France peut se discuter, cette proposition ressemble pour le moins à un marché de dupe.

Je rêve que la dette écologique de notre pays soit l’objet d’autant d’attentions.

La dette des collectivités locales représente entre 7 et 9% de la dette nationale. Celle de la sécurité sociale environ 10% et celle des administrations centrales de l’ordre de 80%.

En toute logique si les collectivités locales devaient participer à l’effort de réduction des dépenses publiques, et que cet effort soit équitablement réparti, ce serait un effort de 2 milliards pour les collectivités locales et de 16 milliards de la part de l’Etat.

L’Etat impose à juste titre aux collectivités que l’emprunt ne finance que l’investissement. Cela suppose la rigueur budgétaire d’une section de fonctionnement qui dégage un excédent. Dans le même temps, l’Etat s’autorise à financer y compris le fonctionnement par l’emprunt. L’Etat vit à crédits et nous donne des leçons en prétendant contractualiser avec nous pour nous imposer encore plus de rigueur que celle que nous adoptons déjà.

Depuis 20 mois j’ai entendu à de nombreuses reprises, dans cette instance ou dans les groupes de travail, les plaintes exprimées par les uns et les autres sur les baisses des dotations de l’Etat. C’est d’ailleurs ce qui nous a amené collectivement à mettre en place le fond de solidarité du Pacte Fiscal et Financier, même si l’objectif affiché de ce dernier n’était pas de compenser ces diminutions.

En faisant abstraction de la crise climatique, de la guerre en Ukraine, et toutes leurs conséquences, voilà les raisons de mon inquiétude dans cette période préélectorale. Je souhaitais, chers collègues, que chaque Conseillers et conseillères communautaires soient informés de ces projets avant de voter ce budget 2022. »