Intervention et échanges avec Charles Fournier
Journée de formation citoyenne du 18 mai 2019
Le support de l’intervenant est accessible à toutes et à tous dans le dossier partagé de notre groupe « Vie démocratique et participation citoyenne » !
Lancement de la séquence par Julie et Théo du groupe « Démocratie et participation citoyenne » de Poitiers Collectif. Animation participative qui invitait les participants à se positionner sur une échelle de 1 à 10, en répondant aux questions suivantes : « Quel est votre degré d’implication citoyenne dans la vie locale ? », « Quel est le degré d’implication citoyenne en général que vous percevez dans la vie locale ? » , « Quel est le degré de prise en compte des citoyens par la collectivité, aujourd’hui ? » : Si les réponses à la première question se situaient entre 5 et 10, les réponses aux suivantes baissaient régulièrement ! Constat : nous serions plutôt plus impliqués que la moyenne de nos concitoyens, et que ce à quoi nous incite la collectivité… Est-ce une surprise ? 😊
Qui est-il ?
Vice-Président de la Région Centre-Val de Loire, Délégué à la Transition écologique et citoyenne et à la coopération, Initiateur de la démarche « Faisons vivre une démocratie permanente ». C’est à ce titre qu’il est invité aujourd’hui, pour présenter l’expérience d’une politique publique visant à favoriser la démocratie, sur le long terme : quel état des lieux initial ? Quelles intentions ? Quelles modalités ? Quels résultats ?
Historique et état des lieux :
Préambule : « Votre exercice montre que vous êtes plus engagés que la moyenne, c’est vrai ! On critique beaucoup le « toujours les mêmes ». Mais ne vous flagellez pas pour autant : ce petit nombre d’engagés, c’est celui qui change le monde ! Donc, soyez ouverts, mais avant tout : bravo pour votre engagement ».
En début de mandat, il avait une délégation « démocratie et initiatives citoyennes », ce qui était une première pour une région , mais un choix très légitime tant une région est impliquée dans le quotidien des gens (formation, emploi…). L’habitus de l’élu, c’est être dans la position de celui qui sait, qui fait, qui décide… Pour contrer ce positionnement, il a semblé décisif d’introduire dans l’exécutif régional une délégation sur les initiatives citoyennes (la « transformation citoyenne » était inscrite pour eux comme premier accord de mandature) pour se faire l’écho des citoyens. C’était aussi un moyen de chercher une nouvelle légitimité à travers l’élection, légitimité aujourd’hui très relative quand on voit les niveaux d’abstention, dont on ne peut se satisfaire, et l’éclatement du paysage politique.
Constats :
Tendance collective à faire un raccourci démocratie = vote, ce qui place les élus dans une forme de confort et de sentiment de légitimité, qui est en réalité loin d’être évidente. De plus en plus de pays votent, mais ça ne signifie pas que la démocratie progresse !
On a le sentiment en France d’être un modèle de démocratie, le pays des droits de l’homme, etc. Pourtant, notre pays dégringole dans les classements qui « mesurent » le niveau de démocratie, avec un énorme bémol lié à la liberté/l’indépendance de la presse (propriété très concentrée des médias, dégradation des libertés journalistiques).
Aujourd’hui, on est dans un système de vote éliminatoire (on vote pour éliminer). Le problème n’est pas tant celui d’une démocratie représentative, qui peut s’exercer de manière très vertueuse ; le problème est celui de la démocratie de « délégation » : on considère qu’une fois qu’on a voté, on laisse les pleins pouvoirs aux élus ! Les citoyens ne se sentent plus concernés, ne sont plus suffisamment pris en compte.
L’inversion de la pyramide, c’est aussi une illusion à l’illusion que le peuple fait bloc, que le peuple est « un ». C’est ce qu’on voudrait « coller » aux gilets jaunes, c’est même ce qu’ils pensent et recherchent parfois. Or, ce n’est pas vrai, et ce ne serait même pas souhaitable ! Il faut cultiver les débats au sein du peuple, que chacun exprime ses opinions, laisser émerger la contradiction et l’assumer ! « Renouveler la démocratie, ça n’est pas « mettre tout le monde d’accord ». C’est organiser les conditions du débat, et à la fin, du choix de l’intérêt général »
Perte de confiance des citoyens vis-à-vis des élus, institutions, syndicats, associations… On se retrouve avec un rapport consumériste à la démocratie, dans un contexte où les élus font des listes de promesses, sans forcément un sentiment de redevabilité ensuite, de retour devant les citoyens. Se développe aussi la catégorie des PRAF : « Plus Rien A Faire ».
Contradiction permanente entre un besoin d’horizontalité (fonctionnement collectif, à égalité) et de verticalité (incarnation/effet « Jupiter ») . La France Insoumise et LREM l’ont bien compris lors de la dernière présidentielle. Et les corps intermédiaires (CESER, syndicats…) ne devraient plus prétendre incarner les citoyens; mais ils sont pourtant extrêmement nécessaires dans leur rôle d’organisation du débat, rôle qu’ils devraient aujourd’hui jouer de manière renouvelée.
Une forme d’oligarchie dans le pouvoir (sentiment de distance, de trahison, d’impuissance…) ne rend pas crédible la démocratie participative. « L’idée de « démocratie participative » a souvent été dévoyée par la manière dont elle a été mise en place. On a cantonné les gens à choisir la couleur du papier peint ! Il faut dépasser ça. C’est pour moi l’idée de ‘Démocratie Permanente’ ! »
Et il y a un risque non-négligeable que cette idée de démocratie permanente et proche des citoyens soit appropriée par le RN… Mais en en faisant un usage identitaire, au service d’un repli sur soi. On assiste à un usage vertigineux des sondages, avec des formes de manipulation, dans un contexte de montée des fake news.
Mais…
Mais il y a aussi beaucoup d’« inspirants » sur les territoires ! = Des gens qui portent des initiatives et mènent des démarches locales, très bottom-up (qui mettent en œuvre les principes d’intelligence collective, l’élection sans candidat, la sociocratie…). Problème = tout ça ne fait pas forcément masse, il faut les connecter pour transformer réellement la société à il faut que le local soit connecté aux autres « locaux », que ça constitue un réseau. « Les initiatives citoyennes n’ont jamais autant foisonné. Comment faire en sorte qu’elles ne soient pas atomisées, qu’elles deviennent un levier de changement global ? C’est là le vrai enjeu ! »
Retour sur la critique du « toujours les mêmes », qu’on entend y compris sur les initiatives citoyennes à Certes, on retrouve toujours les mêmes ; mais ce sont aussi eux qui font changer le monde !
Et plus généralement, pourquoi la démocratie est essentielle dans les enjeux d’aujourd’hui ? Parce-que on ne peut pas changer le monde sans les gens ! Et un projet écologiste comme celui auquel je participe doit forcément se fonder sur la démocratie : les enjeux sont tels qu’on n’y arrivera pas sans emporter tout le monde.
Mais il ne faut pas s’illusionner avec le « tout-citoyen tout le temps », on aura toujours besoin de délégation pour pouvoir nous organiser : tout le monde ne peut pas toujours décider de tout. L’important est de penser une délégation légitime, appropriée par le citoyen même non élu, et qui ne se manifeste pas que tous les cinq ans. « Démocratie permanente ».
La Démocratie Permanente, quelles idées emprunter ?
» Nous avons voulu penser un « Territoire Hautement Citoyen » »
Attitude : Ne pas demander aux gens ce qu’ils attendent de la collectivité mais plutôt ce qu’ils veulent construire avec nous. Penser ce qu’on veut changer dans le processus de décision.
Il y a un vrai chantier à mener sur la re-légitimation de l’administration dans les collectivités, pour que les agents « adoptent » la démarche, échangent avec les citoyens sur leur champ d’intervention….
- Les formats kermesse et guinguette sont très adaptés pour aller chercher les gens qui ne viendraient pas « en cercle » dans un « atelier citoyen » (trop intello, trop engageant)
- Intérêt du porte-à-porte, qui n’est pas forcément intrusif, c’est aussi une forme de reconnaissance
- « Porteur de parole » à affichage dans la rue de type « Jeanine, 63 ans, pense que … », puis débat avec les citoyens qui passent
- Organisation d’un Printemps de citoyen pour la première fois dans la Région Centre à c’est important de célébrer, fêter la démocratie (ne pas toujours l’aborder comme un sujet grave, à traiter en urgence…)
Voir le support de Charles Fournier dans notre dossier partagé pour de multiples autres idées !
Une municipalité a de multiples leviers pour activer la citoyenneté : former les agents, travailler avec les écoles, penser des espaces/lieux ouverts Il faut sortir du projet avec des objectifs de fin de mandat, il faut expérimenter, se laisser surprendre en cours de mandat…
Il est aussi important de restaurer le dialogue entre les citoyens que le dialogue élus-citoyens.
Questions :
Sur le problème de l’ « incarnation », il faut échanger sur ce qu’on veut de l’exercice du pouvoir : « Rien de pire que cacher des trucs qui vont arriver ». L’important est d’ancrer l’exercice du pouvoir dans une démocratie permanente, une recherche permaentne d’ouverture et d’association des citoyens. Le pouvoir doit à tous moments être légitime, et donc questionné, approprié par les citoyens. à ingrédients dans le récit qu’on raconte collectivement, il faut raconter ce qu’on est, comment on le fait
Et la place des partis ? « J’appartiens à un parti au sein duquel j’ai fait voter une motion, à l’échelle régionale, qui disait que nous devons tout faire pour soutenir les démarches citoyennes. Ne pas imposer nos drapeaux, nos bannières, mais simplement demander aux démarches citoyennes le respect de notre identité et de nos convictions de militants au sein d’un parti. Mais selon moi, on doit arrêter de dire que les partis « tirent des listes », ils doivent « pousser des listes » citoyennes ! »
Pour conclure : « L’imaginaire démocratique habituel doit se dépasser ! L’idée de démocratie permanente veut dire partout et tout le temps. Porter un projet municipal de rénovation démocratique, c’est penser le partout et tout le temps. »