Compte-rendu – Changement climatique : quelles politiques pour s’y préparer ?

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Changement climatique : quelles politiques pour s’y préparer ?

Intervention de Benoît Thévard

Journée de formation citoyenne du 18 mai 2019

Le support de l’intervenant est accessible à toutes et à tous dans le Drive du groupe « Démocratie » « Ressources partagées », ici !

Qui est-il ?

Conseiller au sein du cabinet du Président de la Région Centre-Val de Loire, Benoît Thévard est spécialiste des enjeux du changement climatique et de la transition énergétique. Après avoir travaillé plusieurs années dans l’industrie aéronautique, son envie d’agir pour l’environnement le conduit à changer de carrière. C’est à l’occasion d’un séjour de plusieurs mois dans un écovillage québécois que Benoît Thévard découvre la notion de résilience. Face à l’évidence pour lui des perspectives d’un effondrement de notre modèle de société actuel, d’où qu’il vienne, il s’atèle à travailler cette question : comment mobiliser les citoyens face au risque climatique et au péril de l’ « effondrement » ? C’est notamment dans le cadre du think tank Institut Momentum , qui travaille sur des scénarios de résilience post-effondrement[1] (scénario BioRégion Ile de France, scénarios zéro pétrole…) qu’il exerce ses travaux, il anime le blog www.avenir-sans-petrole.org  , il s’investit dans l’association Virage Energie Centre-Val de Loire, fondateur d’une initiative locale de transition citoyenne. Enfin, il est auteur de deux rapports présentés au Parlement européen : L’Europe face au pic pétrolier (2012), et Vers des territoires résilients en 2030 (2014).

Les imaginaires du progrès technologique, de l’efficience et de la maîtrise du risque continuent de régir le fonctionnement de nos sociétés industrielles. La montée des périls, qu’ils soient écologiques, sociétaux, politiques, rend pourtant d’autant plus urgent d’apporter une réponse au double défi écologique et de la prise de conscience citoyenne. Anticiper la transformation rapide des modèles socio-économiques actuels et réaliser la transition vers un futur souhaitable est aujourd’hui indispensable.

La perspective de catastrophes liées au changement climatique vient rappeler notre vulnérabilité ainsi que les risques de ruptures engendrés par notre dépendance aux énergies fossiles. Plusieurs études scientifiques ont démontré la corrélation entre l’élévation des températures et l’augmentation des gaz à effet de serre à l’échelle mondiale. Mais, à quoi faut-il se préparer si la température augmente de plus de 5° en l’espace de quelques dizaines voire centaines d’années ? On ne le sait pas, et c’est à cette incertitude que nous devons nous préparer.

Par ailleurs, si la moitié du stock de pétrole reste disponible, on peut néanmoins prévoir que le pic de production sera atteint à l’horizon 2050-2070, avant un épuisement inévitable. La même logique concerne l’ensemble des ressources naturelles et énergétiques aujourd’hui en grande partie surexploitées. La rupture, dans nos écosystèmes et dans notre modèle de société, n’ « attendra pas » l’épuisement des ressources. Aussi, l’un des défis majeurs consiste dès lors à refonder notre modèle énergétique et rompre avec une conception dominatrice et prédatrice sur le vivant.

La dégradation de la nature se conjugue avec le changement climatique en cours pour accélérer l’appauvrissement des sols, la raréfaction des ressources, l’accès à l’eau potable. Face à ces évidentes limites matérielles et physiques, déconstruire le mythe d’une croissance infinie fondée sur une nature abondante s’impose de façon urgente.

 

La résilience

Le concept de résilience fournit des clés pour transformer notre rapport au territoire, en permettant d’atténuer les possibles chocs économiques et technologiques mais aussi de réduire des inégalités sociales croissantes. Du latin resilire, le terme s’est imposé comme synonyme de « rebond » dans la langue anglaise du XVIIème siècle. En France, au contraire, celui-ci traduit le plus souvent un « renoncement ». Jusqu’à récemment encore, sa connotation est restée négative. Depuis une dizaine d’années, les chercheurs des sciences humaines et sociales se sont intéressés à la résilience, avec pour effet d’en avoir multiplié les définitions. Chez les écologues, la notion renvoie ainsi au laps de temps qu’un écosystème perturbé a besoin pour revenir à un état de stabilité. Dans les travaux de nombreux économistes, la résilience désigne à la fois la capacité d’un système à subir un changement et à s’adapter après des ruptures d’équilibres provoquées par une profonde dégradation (à titre d’exemples, une perte de biodiversité, une pollution toxique, un usage non durable des ressources, etc.).

La résilience peut s’appliquer à plusieurs objets : physique, écologie, psychologie, économie… On peut définir la résilience éco-sociale comme : « La capacité d’un système à subir un changement perturbant, à s’adapter et à se réorganiser, tout en conservant les mêmes fonctions principales et la même identité ». Il s’agit d’anticiper les effets à attendre des dérèglements climatiques et de la biodiversité : ils seront avant tout caractérisés par leurs effets imprévisibles. Il faut donc qu’un territoire puisse assurer ses fonctions vitales et de manière pérenne, face à des phénomènes inattendus et potentiellement brutaux.

Quelques facteurs de diminution de la résilience d’un territoire et de sociétés :

– perte de la biodiversité
– pollution toxique
– Structures non flexibles et fermées sur elles-mêmes
– utilisation non durable des ressources
– recherche d’optimisation et d’efficience accrue qui conduit à une perte de redondance

Quand la résilience diminue, la vulnérabilité augmente. Une politique publique peut donc se fonder sur des critères de résilience vs des critères de vulnérabilité.

Selon Benoît Thévard, c’est la recherche de durabilité qui doit avant toute chose guider les projets territoriaux d’aujourd’hui et de demain. Il s’agit de rompre avec le système de l’efficience décrit par Robert Ulanowisz, philosophe et grand théoricien de l’écologie. Benoît Thévard en rappelle les trois principaux critères, qui favorisent la vulnérabilité (et qui constituent autant de facteurs de vulnérabilité du système économique mondialisé actuel) :

  • L’uniformité (des productions sur un territoire, par exemple : comment nourrir les habitants d’un territoire produisant uniquement de la betterave ? Ou alors comment préserver l’emploi dans un territoire dont tous les emplois sont dans le même secteur, comme le charbon ?).
  • La centralisation (des lieux de décision, des lieux de maîtrise technique…) : cela bride la réactivité pour répondre aux problèmes, cela prive les acteurs à l’échelle locale de la maîtrise des solutions techniques ;
  • La globalisation, qui rend les échelles locales très dépendantes du contexte mondial. Par exemple : les agriculteurs français, qui peuvent être ruinés à cause des événements météo en Russie, du fait de leur influence sur le cours du blé.

Dans un monde en transition, sujet à de possibles chocs et d’importantes variations, les objectifs d’optimisation, de compétitivité et les interdépendances multiples qui structurent la mondialisation font obstacles à une meilleure réactivité et adaptabilité.

A l’inverse, un système résilient a pour principale caractéristique d’être en constante évolution et de favoriser une décentralisation des activités et des réseaux. Les critères à rechercher sont :

  • La diversité (vs l’uniformité des productions agricoles, par exemple) ;
  • La réactivité, qui doit garantir un équilibre entre stabilité (excessive = inertie) et variabilité (qui ne doit pas être excessive) ;
  • La modularité, c’est-à-dire la capacité de chaque territoire à mettre en œuvre par lui-même ses fonctions vitales, et d’assurer son autonomie. L’idée est d’éviter la transmission rapide et mondiale d’un choc ou d’une rupture (pandémies, choc financier…).

Il faut faire attention à bien définir l’objet dont l’on veut préserver les fonctions vitales / l’identité (la résilience). Par exemple : mettre de l’argent pour sauver une entreprise minière ou pétrolière : veut-on assurer la résilience de l’emploi, ou du secteur économique / énergétique concerné ? On confond souvent les objets de résilience. Pour l’exemple précédent, il est ainsi possible d’assurer la résilience des emplois (en accompagnant leur évolution vers d’autres secteurs, via la formation, etc), sans assurer la résilience d’un modèle énergétique climaticide.

 

On passe à la pratique !

Sur ces bases, comment passer du concept à la pratique ? De quels outils disposons-nous pour inscrire la résilience au cœur des stratégies territoriales ?

Les participants à l’atelier ont pu se rendre compte de la complexité des enjeux de la résilience à travers un exercice prospectif. Répartis en trois groupes, les participants ont été invités par Benoît Thévard à réfléchir aux services rendus à la société par trois structures différentes (un syndicat des déchets, une usine de fabrication d’éoliennes, un syndicat de gestion des eaux), puis à identifier également quels étaient leurs besoins incontournables pour fonctionner. Objectif : prendre conscience de la fragilité de notre organisation socio-économique et de notre complète dépendance au pétrole. Sur la base de constat co-construit, les participants ont ensuite formulé des pistes d’amélioration pour rendre ces trois secteurs incontournables de notre quotidien plus résilients.

Un dernier point d’attention a porté sur la résilience globale vs la résilience spécifique : trop de recherche de « résilience spécifique » nuit à la résilience générale. Dans un contexte instable, la résilience spécifique n’est pas suffisante. Plus un système est robuste pour faire face à certains types de choc, plus il est vulnérable aux événements imprévus : Fukushima était préparé à tout… Sauf à la convergence d’un tremblement de terre marin + tsunami + fragilité infrastructure… Même si la résilience générale semble préférable, elle n’en est pas moins très difficile à comprendre, à mettre en place, à évaluer : la gestion politique d’un territoire implique des objectifs mesurables, chiffrables, ce qui est beaucoup plus accessible avec la résilience spécifique.

En guise de conclusion, Benoît Thévard a rappelé l’urgence de faire preuve de lucidité sur les grands bouleversements dans lesquels nous sommes déjà entrés. Il est aussi crucial selon lui que les acteurs politiques prennent davantage en compte la résilience dans les politiques publiques et la définition des stratégies territoriales en France. Pour cela, la mobilisation citoyenne constitue un puissant levier d’action pour lutter contre un court-termisme électoraliste et peser sur la prise de décision politique afin de générer des alternatives possibles.

Au cœur des préoccupations de Poitiers Collectif, la question de la participation citoyenne et du renouveau démocratique est donc une clé pour rapprocher économie, écologie et politique de bien-vivre. C’est aussi en mobilisant tous les acteurs de la société civile que l’on peut espérer dessiner les contours d’un futur meilleur.

[1] L’Institut définit l’effondrement comme : « un ensemble de facteurs concomitants qui conduiraient à une incapacité – temporaire ou définitive – de la biosphère à offrir des conditions de vie acceptables. »