À l’heure de l’instabilité alimentaire annoncée par la guerre en Ukraine, ou des effets du dérèglement climatique, la France se trouve à un tournant majeur : elle doit définir quelle sera son agriculture de demain. Pour Emmanuel Macron, c’est chose faite, et son gouvernement dessine peu à peu les traits d’un plan d’agriculture 4.0. Ainsi, le président de la République a présenté aux français son projet chiffré à 2.8 milliards d’euros dans le cadre de France 2030 et du Plan d’Investissement d’Avenir. Cette « révolution » agraire est axée autour des transformations numérique, robotique et génétique. Selon les informations disponibles à ce jour, il s’agit pour le gouvernement de financer :
- Un équipement massif destiné à automatiser les cultures (drones de télédétection, capteurs connectés, robots désherbeurs autonomes, etc.)
- Une transformation génétique des plantes afin de les rendre plus résistantes aux conditions extrêmes.
Mais le projet manque globalement de précision. En marge des formules largement répétées (« révolution agroalimentaire » ou « agroécologique », « numérique, robotique, génétique », « progrès technologique »), le plan reste encore flou et manque de clarté. Le gouvernement a choisi de ne pas dévoiler dans le détail la future mise en œuvre de son projet, mais les grands axes qu’il porte suffisent déjà à identifier les problèmes posés par cette politique « révolutionnaire ».
Technique partout, agriculture nulle part
Ce projet pose en effet problème sur plusieurs points. D’abord, l’automatisation couplée à la modification génétique, réduit toujours plus l’autonomie des agriculteurs. Elle les enferme dans la dépendance aux équipementiers, aux semenciers, aux banques, … et dans l’endettement qui s’en suit. Il semble en effet que l’investissement envisagé par le gouvernement soit davantage au bénéfice des grands acteurs de cette industrialisation, qu’en faveur des conditions de vie des agriculteurs et agricultrices.
Ensuite, la robotisation est évidemment néfaste du point de vue des ressources. Non seulement la fabrication de ces robots entrainerait une consommation accrue en matériaux et en énergie (alors que tous deux commencent à manquer), mais surtout les conséquences économiques, sociales et environnementales relatives à l’utilisation d’OGMs sont aujourd’hui reconnues néfastes, et les risques sanitaires sont encore mal évalués. Contaminations croisées, pollution phytosanitaire, augmentation du coût de production, dépendance, risques pour la santé, … les conséquences potentielles, et pour ainsi dire probables, des OGMs et de la robotisation sont nombreuses et alarmantes.
Mais outre les problèmes factuels, cette vision de l’agriculture soulève un questionnement de fond. D’une part le gouvernement ne fournit pas les efforts nécessaires à l’endiguement du réchauffement climatique, mais d’autre part il assume ouvertement vouloir modifier génétiquement l’agriculture pour la rendre plus résistante aux effets du réchauffement climatique. Au lieu de prendre le problème à sa racine, en visée d’un changement durable et pérenne, le gouvernement utilise le progrès technique contre la nature. En n’offrant que des solutions techniques, à des problèmes qui sont dus à cette course en avant du progrès technique, le gouvernement nous engage dans une voie sans autre issue que la raréfaction des ressources et la mutilation de notre environnement. Et Julien Denormandie de nous expliquer : « Notre vision politique et notre finalité, c’est de nourrir le peuple de France, le peuple européen et le peuple de la planète tout en préservant l’écosystème». Là encore, le productivisme nous aveugle, et bien que la France n’ait de cesse d’exporter ses cultures par souci de rentabilité, on décide d’accélérer encore la production afin de pallier aux besoins des français. Un contre-sens écologique et social, à mille lieux de la souveraineté alimentaire que prêche pourtant le Ministre.
Pour une agriculture paysanne
La planète, au vu de la crise qu’elle traverse, exige de la sobriété. Les méthodes les plus simples, en cohésion avec la nature — l’agriculture paysanne, de proximité — seront les plus durables et les plus bénéfiques sur le long terme. Ceci aussi bien d’un point de vue de la nutrition et de la santé, que de l’environnement et de la biodiversité, ou de l’emploi et des conditions de travail. La planète a besoin de sobriété et le plan d’Emanuel Macron est dans la démesure. Ce modèle intensif a déjà prouvé être néfaste, cette « révolution » ne nous apportera qu’une dégradation rapide, connectée et automatisée de l’environnement.
Et cette simple poursuite du modèle agricole industriel déjà en vigueur, ne profitera qu’aux fermes-usines et aux grands exploitants. Cette foi aveugle dans le progrès technique et l’intensification continue de creuser le fossé entre ces derniers et les « petits agriculteurs », lesquels sont progressivement remplacés par des machines. Il en va de la déshumanisation des campagnes, elles se vident de leurs paysans, sans que l’Etat n’en fasse guère cas. Cette agriculture ne parvient donc à remplir aucun de ses objectifs, à savoir rémunérer les paysans (77% de leurs revenus proviennent des aides nationales et européennes) et produire une alimentation satisfaisante et accessible de tous (1 français sur 5 en précarité alimentaire en 2018). Comme l’a si bien formulé Greenpeace : « Croire encore et toujours que le progrès technique résoudra les maux de notre agriculture sans avoir besoin d’en transformer en profondeur le modèle est une hérésie ».
Pourtant un modèle agricole paysan, de coopération avec le vivant, est plus que jamais possible. La simple volonté politique suffirait à enclencher un processus de transition vers une production meilleure. Plusieurs études témoignent de l’opportunité que nous avons d’atteindre l’autosuffisance alimentaire tout en nous libérant des pesticides, engrais de synthèses et méthodes de production et d’élevage désastreuses. Reconnexion des (poly)cultures et de l’élevage pour une boucle locale de fertilisants naturels et de plantes nourricières ; rotation des cultures pour enrichir les sols ; renaturation de nos paysages (haies, lisières, mares, nichoirs, etc.) pour améliorer les récoltes : les objectifs sont clairs et accessibles.
Une étude scientifique prévoit d’ailleurs que l’Europe entière puisse d’ici 2050 se nourrir exclusivement de bio et de local, dans un système qui lui serait entièrement favorable. Santé, environnement, rémunération, pouvoir d’achat : tous les arguments pointent vers ce modèle durable.
Fort heureusement, des initiatives émergent depuis maintenant plusieurs années, et un nombre croissant d’agriculteurs parviennent à s’extraire par leurs propres moyens — non pas sans difficultés — de l’agriculture industrielle intensive ; preuve que le changement est à portée de main. La cohésion entre l’être humain et la nature n’est donc plus qu’une question de volonté, et par conséquent, tous ceux qui participent encore à des politiques agricoles néfastes portent une double culpabilité : celle de la perpétuation d’un modèle sans issue, et celle de la négation du vrai changement.