[Compte-rendu de plénière] L’eau, un bien à défendre

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Le jeudi 14 décembre, Poitiers Collectif invitait Benoit Biteau et Christine Graval pour parler et réfléchir ensemble à la question de l’eau. Une cinquantaine de personnes avait répondu à l’appel.

Christine et Benoît ont d’abord pris le temps de se présenter, de raconter leur rapport à la question de l’eau.

Christine, en tant que conseillère régionale écologiste, explique qu’il y a eu une nécessité de s’approprier le sujet de l’eau, d’apporter un éclairage d’une élue non experte du sujet mais qui partage une expertise d’usage. C’est ce qu’elle a voulu mettre en oeuvre avec le PTGE citoyen, aux côtés des organisations environnementales et syndicats, nous y reviendrons plus bas. L’enjeu pour Christine c’est le respect de la ressource comme bien commun : non géré par les institutions, les fondamentaux ne lui semblent pas respectés.

À ses yeux, il y a une tension autour de l’eau car le citoyen doit nécessairement se battre et défendre l’accès à une eau de qualité alors que cela devrait être le travail des institutions de trouver un équilibre entre les ressources et les besoins. Donc que faire ? Ne pas être défaitiste, agir à toutes les échelles et à tous les endroits !

Benoît, lui, est eurodéputé écologiste. Il a une connaissance d’usage depuis qu’il est enfant, un rapport à l’eau très authentique car il a grandi près de l’estuaire de la Gironde, dans une famille très sensibilisée au lien terre-mer. Sa formation est ensuite allée dans ce sens. Il est désormais agronome spécialisé en eau, génétique et agriculture. Il connaît également le sujet via son expérience professionnelle auprès de Monsieur Raffarin, visant à sortir du contentieux sur la gestion de l’eau et de l’habitat, le Marais Poitevin qui venait de perdre son label parc naturel. Benoit est ensuite devenu paysan avec une approche écologique pour reprendre une terre en monoculture depuis 35 ans. Il voulait démontrer qu’une approche agro-écologique pouvait fonctionner. D’abord conseiller régional, Vice-Président à l’agriculture et à la pêche, il a participé au règlement d’intervention pour le plan de développement local et régional ; il est aujourd’hui toujours paysan et Député européen écologiste au sein de la commission agriculture, développement rural, pêche et développement.

Pour Benoit, le principal enjeu politique aujourd’hui est de rouvrir le contentieux européen et il trouve que le commissaire y est attentif et ouvert à l’idée de vérifier l’état des engagements pris suite au contentieux d’il y a 18 ans. Benoit explique également la nécessité d’enfin appliquer la directive cadre européenne qui définit que l’eau est un bien commun, tout comme le fait la loi économique de l’eau.

Précisons les compétences et le fonctionnement de l’Union Européenne et du Conseil Régional

L’Union Européenne marche sur trois pieds : la Commission (règlements, directives cadres européennes et respect des réglementations en place), le Conseil (présidents des États membres) et le Parlement (députés comme législateur.rices). Les trois se réunissent pour écrire des textes et parviennent à des accords dans le cadre de trilogue.

Le contentieux européen c’est le travail de la Commission qui doit veiller au cadre réglementaire sur les territoires. Sur le marais poitevin : les associations se sont mobilisées sur le manque de respect de 7 directives cadres européennes (eau, milieu marin, souterrain, oiseaux…) et au fil des échanges et des mises en garde, la commission aboutit à l’idée que les infractions justifiaient le contentieux. C’est ce qui a conduit à la perte du label parc naturel régional et donc l’État a dû répondre aux griefs de la Commission européenne. La France a obtenu la sortie du contentieux en 2005 mais très peu des engagements ont été respectés.

Pour ce qui est de la Région, il y a surtout la stratégie régionale de l’eau dont la dernière remonte à 2018. Elle regroupe dans un même règlement toutes les compétences régionales. Au niveau des priorités, la Région a les compétences pour aborder l’ensemble des sujets de l’eau via différents dispositifs, dont notamment le financement. Dans le cas des bassines : pas de soutien pour l’eau, mais le financement des tuyaux sous réserve que ce soit lié à un enjeu de gestion de l’eau.

Du côté des communes, les principales compétences liées à l’eau relèvent de l’assainissement et de la prévention des inondations. Cela se regroupe souvent dans la compétence Gemapi (gestion milieux aquatiques et prévention des inondations) et elle peut être financée par une fiscalité locale. L’idée derrière c’est qu’une bonne gestion de l’eau c’est aussi une prévention des inondations.

Quelles sont les menaces, les enjeux et les risques globaux, comme locaux ?

Le principal enjeu est celui de la ressource disponible dans la nature et son utilisation puisque l’humain s’octroie l’exploitation de la ressource or la Vienne extrait depuis mi-90 plus d’eau qu’elle n’en fournit.

Côté freins et menaces, la loi explique les trois niveaux de priorités mais comment faire pour que cette loi soit appliquée, dans un contexte de déficit d’eau et d’étude d’impact qui le montre ? À titre d’exemple, localement, l’étude HMUC démontre les niveaux d’eau disponibles. À partir de là, il peut se mettre en place un plan d’action autour de l’eau (PTGE) mais il y a des freins très puissants.

Le changement climatique met au cœur des enjeux la bonne gestion de l’eau. C’est l’objectif des études HMUC qui permettent de mieux se préparer, anticiper et gérer l’eau. Le changement climatique, ce sont aussi beaucoup plus d’événements extrêmes. Il n’y a pour autant pas de prise de conscience générale : on continue avec des techno-solutions qui ne règlent pas le fond du problème, qui ne se demandent pas pourquoi la gestion est défaillante et pourquoi cela entraîne ces événements dramatiques et extrêmes

Or, pour répondre à tous ces enjeux, il est nécessaire de s’arrêter sur la question de l’agriculture. En termes de consommation, elle consomme 58% sur l’année et 80% sur l’été. MAIS ce ne sont pas toutes les agricultures qui utilisent autant (1,5% de la population est agricultrice, 6% du monde agricole est irriguant, soit 1/1000 citoyen.ne prend 58% de l’eau disponible par an. La question du Commun revient car l’eau devrait donc être partagée. Or il y a une déconnexion de la ressource par rapport aux besoins. Par ailleurs 60% des volumes d’eau sont fléchés vers l’irrigation des surfaces en maïs mais le maïs sert à nourrir des animaux herbivores de prairies. En en parallèle, il est nécessaire d’importer du soja qui contribue à la déforestation de l’Amazonie.

À titre exemple, dans le Marais poitevin, on a retourné 1/3 des prairies utiles pour le ralentissement de l’eau et l’infiltration de l’eau, qui permettait également de produire de la nourriture pour les herbivores. Le retournement de ces prairies a servi pour faire du maïs qui demande de l’irrigation. Cela pourrait se résumer avec le schéma suivant :

Quels sont les leviers d’action pour répondre à ces enjeux ?

Le PTGE vient d’associations environnementales et de défense des consommateurs et de syndicats. En 2019, une circulaire pose ce que devrait être un plan de gestion de l’eau. Ces associations qui défendent les milieux qui luttent contre les bassines ont interpellé la préfète de bassin pour un PTGE en 2019. Lorsque l’étude HMUC est sortie, le préfet de la Vienne a sorti un protocole qui selon lui devait valoir PTGE. Mais alors quelles conséquences pour l’eau potable et les milieux ? Ces organisations ont décidé de lancer une initiative citoyenne localement.

Cette initiative permet une réappropriation citoyenne des sujets via de l’information pour avoir son propre point de vue et avoir des espaces de débats et d’échanges. Le PTGE citoyen permet de montrer comment les citoyens peuvent apporter leur pierre à l’édifice. Récemment, la Présidente de Grand Poitiers s’est portée candidate pour porter et animer le PTGE sur le territoire.

Après ce premier temps de table-ronde, quelques questions du public.

Toutes ces initiatives sont-elles suffisantes ?

Il faudrait surtout questionner les bassins versants. 60 à 70% des bassins versants sont occupés par des bassins agricoles. C’est là-dessus qu’il faut avancer. Les prairies permettent de nourrir les herbivores mais aussi de retenir l’eau pour éviter les inondations par des phénomènes de crues. Les prairies permettent de plus une infiltration de l’eau dans les territoires. Il y a aussi des espaces de grandes cultures productiviste et intensives qui utilisent des pesticides et des engrais de synthèse qui sont aussi imperméabilisés. À titre de comparaison, une prairie infiltre infiltre 110 mm d’eau par heure. Un sol labouré, lui, infiltre 5 à 6mm/heure. Or, si tout ruisselle, il y a goulot d’étranglement, les goulots sont souvent les fleuves, rivières dans les villes qui finissent par prendre l’eau.

Un autre indicateur de cette évolution inquiétante : le temps de concentration (c’est le passage de la pluie à la mer). À Saint André de Lidon entre la pluie et la mer, il y avait 7 jours il y a 30 ans. Seulement 7h sont nécessaires aujourd’hui.

Plutôt que faire des bassines où on ne change rien, il vaudrait mieux repenser l’agriculture pour avoir des usages plus efficients. De plus, parmi les 6% d’irrigants, toustes ne sont pas connecté.es (1/3) même s’ils et elles financent, ils et elles seront juste exonéré·es des impôts. Les ressources sont impactées par le remplissage des bassines parce que moins de remplissage des nappes phréatiques, alors que dans le même temps on continue de taper dans des nappes déjà impactées par les bassines. Elles vont nécessairement donc empirer la situation. Le soutien à l’évolution des pratiques pourrait aider un certain nombre d’agriculteur.rices.

Le sujet du financement de l’agriculture fait peser une triple peine :

  • La PAC (1/3 du budget européen) finance sans aucune conditionnalité (et cela favorise les plus gros producteurs, fervents défenseurs de l’agriculture intensive)
  • Une fois qu’on a financé ces agricultures nocives, il faut des politiques publiques pour régler les problèmes sanitaires avec des politiques curatives (6 à 9x la PAC juste pour la France)
  • Parce que tout l’argent est perfusé pour l’agriculture intensive et les politiques curatives, il n’y a plus de moyens pour accompagner les transitions

Benoit Biteau propose une solution : arrêter la PAC telle quelle est pour la rendre conditionnelle et les pouvoirs publics devraient pouvoir dire qu’il n’y a plus de subventions pour ça mais seulement pour les transitions. L’enjeu est de créer les conditions économiques pour créer des cercles vertueux et aller vers la sécurité sociale alimentaire. Cette volonté est renforcée par le contexte d’entrée de l’Ukraine dans l’UE, car elle siphonnerait une grande partie de la PAC. On pourrait alors distribuer la PAC par condition de main d’œuvre par exemple.

Quid de la baisse de la taxe sur les pesticides, dite sur les pollutions diffuses ?

« FNSEA décide, PM valide ». Le principe de cette taxe c’était pollueur payeur : on devrait adosser au prix du marché le coût de la réparation de ces substances polluantes. Parce qu’on ne fait pas de pollueur payeur, il y a des taxes pour les individus pour réparer les effets des pesticides (exemple : taxe de l’agence de l’eau). La FNSEA a été plus forte que le principe pollueur payeur : le pollué est payeur et le pollueur est payé.

Que penser de l’autorisation préfectorale à dépasser les seuils sur la potabilité de l’eau ?

C’est la technique de : si la température monte, on casse le thermomètre. Donc on modifie la norme pour autoriser des taux plus hauts que la santé publique ne devrait l’autoriser. 

Les politiques publiques sont de vrais leviers : le monde agricole discute et discute mais en fait ça leur fait gagner du temps.

Plein d’arguments scientifiques et techniques sont convaincants mais c’est aussi une question culturelle : comment dépasser le pour/contre de l’agriculture ? Qu’est-ce qui peut aider à convaincre que c’est une question de bien commun et pas d’extrémisme ? 

Les arguments : aller vers des actions et mesures précises en étant force de proposition « ça ne changera pas du jour au lendemain mais on peut envisager des choses à 5, 10 ans ». 

Le frein au changement existe mais dans le quotidien, sur le sujet de l’eau en parlant comme citoyen·ne et des priorités, on arrive à entrer dans le sujet et à convaincre chacun.e de se cultiver sur le sujet. 

Argument : les citoyen.nes via les ICE (initiatives citoyennes européennes), s’ils/elles engagent des problématiques, alors il y a 1 an pour 1M de signatures. Depuis la mise en place des ICE, 8 ont abouti et 5 parlent d’agriculture et d’alimentation, 2 parlent de pesticides. Il y a un vrai intérêt de la société civile. Ca veut dire qu’on ne peut plus penser la PAC uniquement avec le monde agricole mais aussi dans un débat de société et les ICE aident à faire ça. La nouvelle PAC pourrait intégrer les demandes d’ICE qui sont en plus basées sur des études scientifiques très sérieuses et robustes. L’agriculture est un réel sujet sociétal et non pas uniquement agriculturo-agricole. Quand on parle d’agriculture, on parle de climat, d’alimentation… 

Après cette belle soirée autour de l’eau, nous nous retrouverons en janvier pour les voeux et un moment festif ; puis début février pour parler culture et censure !